L'Enfant-Roi
de Siorac sans nommer du même coup le chevalier de La Surie qui est son
compagnon de toujours, son frère et son alter ego ?
À ouïr cet hommage, La Surie rougit de nouveau et se versa
de lui-même un deuxième verre de vin.
— Moucheu le Chevalier, dit Mariette en entrant
dans la pièce suivie d’une chambrière (c’était Louison, et elle rougit en me
voyant), che viens drecher la table pour le dîner. Et ma fé, vous
ne vous rendez pas cherviche à boire avant le rôt : vous allez
gâter votre palais.
— Et moi, ma commère, dit La Surie avec bonne humeur,
j’en connais une qui risque fort de se gâter la langue à trop parler.
— Et l’oreille, à trop la tendre, dit mon père en
riant.
Mais voyant que Mariette, sous prétexte de mettre le
couvert, allait demeurer le plus qu’elle pouvait dans la pièce pour tâcher de
découvrir la raison de ce grand émeuvement où elle nous voyait tous trois, il
nous entraîna d’un geste dans l’embrasure de la grande verrière qui donnait sur
la cour.
— Mon fils, dit-il à voix basse, pouvez-vous me
rapporter les paroles exactes que Louis a prononcées à mon endroit ? Vous
a-t-il dit qu’il voulait me poser des questions à Blois ou sur Blois ?
— Eh bien, dis-je, à bien fouiller ma remembrance, il
me semble qu’il a dit « sur Blois ».
— Ah ! dit mon père.
— Y a-t-il une différence ? dis-je en haussant le
sourcil.
— Grandissime. Je ne sais pas ce que Louis pourrait me
demander à Blois, mais en revanche, je sais très bien ce qu’il pourrait quérir
de moi sur Blois.
— Monsieur mon père, dis-je, vous parlez par énigmes.
Je ne vous entends pas.
— Comment le pourriez-vous, mon fils, dit-il avec un
sourire, puisque vous n’étiez pas né en 1588 ?
— Moucheu le Marquis, dit Mariette qui espérait
que lorsque nous serions assis autour de la table, nos propos seraient
davantage à portée d’oreille, plaige à vous de prendre plache, la
table est mige et je vais vous chervir.
Elle dut être fort déçue car nos propos, tout le temps que dura
notre repue, furent rares et décousus, La Surie n’en finissant pas de savourer
en silence sa joie, mon père paraissant grave et songeur et moi-même, comme on
devine, partagé entre deux puissants sentiments.
— J’ai ouï, dit mon père, que le roi devait se rendre
cet après-midi à Saint-Germain-en-Laye.
— En effet, Monsieur mon père.
— Irez-vous avec lui ?
— Non, mon père. Il m’en a dispensé.
— Vous n’aurez donc pas à décommander votre visite à la
rue des Bourbons.
— Nenni.
Un silence tomba alors sur la table jusqu’à ce que Mariette
fût sortie pour quérir le dessert.
— Mon Pierre, dit mon père, redoutez-vous cette
entrevue ?
Bien que Mariette ne fût plus là, il avait parlé à mi-voix
et d’une façon si particulière que La Surie releva la tête et m’envisagea de
ses yeux vairons, dont l’un, le bleu, était si vif et l’autre, le marron, si
affectueux, à tout le moins lorsque l’objet de son regard était mon père ou
moi.
— Oui, dis-je, quelque peu.
Le dialogue s’arrêta là et après le dîner, prenant congé de
mon père et de La Surie, je me retirai dans ma chambre et, les contrevents
clos, m’allongeai sur le lit en attendant le coche de louage qui devait me
conduire chez Madame de Lichtenberg. La chaleur était si excessive que même
sans branler bras ni jambe, je transpirais d’abondance, ce qui ne laissait pas
d’augmenter la déquiétude que je sentais m’envahir au fur et à mesure que se
rapprochait le moment où je devrais affronter ma Gräfin.
Bien que je connusse les raisons de ce grand voyage à
l’Ouest et les effets que l’on en attendait, je n’étais bien évidemment pour
rien dans la décision qui l’avait fait entreprendre et je ne pensais même pas
de prime devoir y participer, parce qu’il s’était dit au Louvre qu’on réduirait
beaucoup le nombre des officiers royaux à qui on permettrait de s’y
joindre – ce qui, vu mon âge, paraissait m’exclure.
Le roi en avait décidé autrement. Et pourtant, tout étranger
que je fusse à cette décision et à ce projet, tandis que Herr Von Beck
conduisait mes pas dans le dédale du logis de Madame de Lichtenberg, en
répétant cent fois que « Wegen der grosser Hitze [46] »
les valets avaient dû transporter la chambre de la Gräfin dans la partie
nord de l’hôtel, je me sentais obscurément coupable à
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