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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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encore en notre siècle.
    Rompu à toutes les intrigues du pouvoir et de la Cour, bon
courtisan, mais n’hésitant pas, dans les occasions, à contredire son souverain
(que ce fût Henri IV ou après lui la régente), « catholique à gros
grain » comme on disait alors, et dont la dévotion expliquait les passions
partisanes, Villeroy était néanmoins fort sensible, dès lors qu’il ne
s’agissait pas de l’Espagne, aux intérêts du royaume : raison qui
expliquait qu’il voulait en découdre une fois pour toutes avec les Grands, tuer
leur rébellion dans l’œuf et les ramener à résipiscence.
    La seule chose qui demeurait jeune dans son visage maigri et
ridé était l’œil, lequel était clair, vif, vigilant et annonçait beaucoup
d’esprit, et du plus fin. Il connaissait fort bien mon père, qui était son
cadet de dix ans, ayant servi avec lui sous Henri III et Henri IV.
Leur commerce durait donc depuis nombre d’années. Bien qu’ils ne fussent pas du
même bord, leur réciproque estime et commune tolérance expliquaient qu’ils
eussent conservé des liens amicaux.
    Quand je devins premier gentilhomme de la Chambre et
m’installai au Louvre, mon père me conseilla vivement de cultiver sa faveur. Je
n’y faillis pas et Villeroy, qui était disert, trouvait en moi une oreille si
attentive qu’il fut quasiment dans l’admiration qu’un homme sût, si jeune,
écouter si bien. Il me prit en amitié. Et pour dire tout le vrai, je ne mettais
point dans mon rapport avec lui la moindre flagornerie. Villeroy, ayant été
secrétaire d’État plus de quarante ans au service de trois souverains, savait
tant de choses sur le passé et tant d’autres sur le présent que je l’écoutais
bouche bée et quasiment émerveillé d’une aussi riche et profonde expérience.
    Il était issu de la bourgeoisie, mais la plus haute, la plus
instruite, la plus brillante et la plus laborieuse. Son père était prévôt des
marchands de Paris [45] et son petit-fils – mon cadet
de quelques années, puisqu’il avait alors seize ans et moi vingt-deux
ans – fut fait duc et pair par Louis XIV. J’aimerais que d’aucuns de
nos gentilshommes qui, se vautrant leur vie durant dans l’ignorance et
l’oisiveté, tiennent à honneur de mépriser le tiers état, tirent quelque leçon
de l’ascension, aussi prodigieuse que méritée, d’une famille roturière…
    Quand Monsieur de Villeroy m’eut fait le récit de
l’intervention soudaine de Louis au Conseil des ministres, je me hasardai à lui
poser questions auxquelles il répondit avec beaucoup de bonne grâce.
    — Fûtes-vous surpris, Monsieur de Villeroy, que Louis
intervînt ainsi ?
    — Surpris ? dit-il, le mot est faible. La foudre
tombant sur la table du Conseil ne nous eût pas plus étonnés. Cet enfant bègue
dont on nous répétait qu’il n’était occupé que de chasse, d’oisellerie et de
jeux puérils et apparemment si soumis à la régente, tout soudain exprimait en
plein Conseil avec force et résolution une opinion politique qui contredisait
hautement celle de sa mère ! Il y avait de quoi s’interroger, ouvrir tout
grands les yeux, avoir puce à l’oreille ! Et il n’avait que douze ans et demi !
L’avenir s’annonçait sombre pour la régente ! Le défunt roi avait bien
raison de dire que la mère ne manquerait pas d’avoir un jour maille à partir
avec le fils, étant tous deux d’humeur si opiniâtre ! Et que penser, mon
jeune ami, de ce ton surprenant d’autorité qu’il avait pris avec elle : « Ma
mère ! Ne cédez cette place en aucune façon ! » Jour du
Ciel ! C’était parler en roi !
    — Mais, dis-je. Monsieur de Villeroy, cette
intervention du roi changea-t-elle quelque chose à l’affaire ?
    — Assurément ! Louis, quand tout est dit, est roi
par légitime succession ! Et qui plus est, sacré à Reims, et à la face du
royaume l’oint du Seigneur, tenant son pouvoir de Dieu ! Raison pour
laquelle son algarade plongea le Conseil dans le plus cruel embarras !
    — Et pourquoi cela, Monsieur de Villeroy ?
    — Il nous devenait, mon jeune ami, également
impossible, après qu’elle eut eu lieu, de donner Amboise à Condé et de ne la
donner point. La bailler, serait mépriser l’avis du roi. Ne pas la bailler,
serait dédaigner l’opinion de la régente.
    — Et que fîtes-vous pour vous sortir de ce
dilemme ?
    — Comme toujours, un compromis ! dit Villeroy avec
un sourire mince

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