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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Et de reste, dès que le carrosse se mit en marche, il sortit de
l’emmanchure de son pourpoint une petite galette et cachant de sa main gauche
ce que faisait sa dextre, il tâchait de la grignoter en tapinois. Mais son
manège n’échappa pas à Louis qui lui dit d’un ton mi-grondeur
mi-souriant :
    — Vitry, voulez-vous gâter mon carrosse et faire de lui
une auberge ?
    Vitry rougit et fit disparaître sa galette comme un écolier
pris en faute, ce qui amena des sourires à la ronde.
    Pensant que le roi, faute de pouvoir commander ses armées,
faisait ainsi manœuvrer ses gardes, le prince de Condé ne se contentait pas des
pécunes que les envoyés de la régence lui offraient jusqu’à concurrence de
quatre cent cinquante mille livres – somme énorme ! Il voulait qu’on
lui cédât pour toujours le gouvernement de la ville d’Amboise sur la rivière de
Loire. Il la demandait, disait-il, « pour ses sûretés », comme s’il
avait tant à craindre d’une régente qui avait assez d’hommes pour écraser sa
petite troupe en un tournemain et préférait le couvrir d’or.
    Cette prétention exorbitante divisa le Conseil des
ministres. Villeroy et le président Jeannin s’opposaient avec la dernière
vigueur à ce qu’on donnât Amboise à un prince protestant, la rivière de Loire
étant si proche des provinces où les huguenots tenaient le haut du pavé. Les
maréchaux d’Ancre, en revanche, lui voulaient à tout prix accorder la ville de
peur que, la négociation échouant, on en vînt à lui faire la guerre, ce qui eût
porté le jeune duc de Guise à la tête des armées royales.
    La querelle atteignit de stridents sommets, quand les dames
s’en mêlèrent. Ma demi-sœur, la belle princesse de Conti, plus guisarde que
Guise lui-même, prit violemment à partie la Conchine et en vint avec elle aux
plus grosses paroles, lui reprochant de vouloir nuire à son frère en favorisant
la paix. C’était oublier que l’araignée était venimeuse. Une fois de plus, elle
descendit le soir venu de son plafond, se plaignit avec des pleurs de
l’insolence de la princesse à son endroit et remontra à Sa Majesté que si elle
décidait de faire la guerre à Condé au sujet d’Amboise, elle tomberait tout à
fait sous la domination de la maison de Guise.
    Quand le Conseil se réunit le lendemain, la reine, d’après
la rumeur qui courait, était décidée à abandonner Amboise. Je ne saurais dire
qui rapporta cette rumeur à Louis et qui lui expliqua l’importance stratégique
d’un gage qu’on allait si légèrement céder au prince de Condé. Mais sa décision
fut prompte : il monta à l’assaut. Et dirigeant ses pas vers la salle où
se trouvait le Conseil, il y entra et sans prendre le temps de s’asseoir, il
s’adressa de but en blanc à la reine et lui dit avec véhémence :
    — Ma mère ! Ne donnez pas Amboise à Monsieur le Prince !
S’il veut s’accorder, qu’il s’accorde !…
    La reine rougit de surprise et de colère à se voir ainsi
affrontée par un fils qu’elle n’aimait pas et affectait de traiter en enfant.
    — Sire, dit-elle, oubliant que Louis ne révélait jamais
ses sources, qui vous donne ce conseil ? Celui-là ne désire ni votre bien,
ni celui du royaume.
    Quand on me rapporta cette parole de la régente, je me fis
cette réflexion que si Louis avait pu parler à la franche marguerite, il aurait
répliqué : « Ce bien, Madame, que vous défendez si bien ! »
Mais le roi jugea plus sage de ne pas répondre à la question méprisante de sa
mère. Il s’en tint au fond du problème et reprit avec beaucoup de force :
    — Ma mère, ne cédez cette place en aucune façon !
Et que le prince fasse ce qui lui plaît !
    Sans ajouter un mot, il salua la reine et quitta la place.
    Ce récit me fut fait quelques jours plus tard par Nicolas de
Neufville, seigneur de Villeroy. Il avait alors soixante-dix ans et faisait
partie des ministres barbons dont on daubait le grand âge sans pouvoir
se passer de leur expérience, et point même du temps d’Henri IV, qui
toutefois reprochait amèrement à ce ligueux mal repenti ses sympathies
espagnoles.
    Villeroy avait le front haut, la joue creuse, le nez long et
une barbiche effilée qui allongeait encore son visage triangulaire et lui
donnait un air vénérable qu’accusaient encore le blanc immaculé de son poil et,
autour de son cou maigre, une petite fraise démodée qu’il était quasiment le
seul à porter

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