L'Enfant-Roi
vin
blanc. Puis, de fort bonne humeur, et criant à Monsieur de L’Isle Rouet :
« Adieu mon hôte ! » il regagna son carrosse.
Ce deuxième déjeuner ne l’empêcha point, parvenu à Jalné, de
dîner à une heure ni de goûter deux heures plus tard, ni de souper, une fois
rendu à Poitiers à sept heures et demie. D’après Héroard, ces cinq copieuses
repues, loin de l’incommoder, n’eurent pas d’autre effet que d’accélérer
quelque peu sa digestion, si bien qu’au lieu de se réveiller comme à
l’ordinaire à sept heures du matin, il se réveilla à une heure après minuit et
réclama ce que notre bonne Mariette au logis appelle sans détour une
« chaire percée », mais qu’on nomme à la Cour, sous l’influence de la
marquise de Rambouillet, d’un terme pudique et vague : « une chaire
d’affaires ».
— À la longue, dit mon père quand je lui contai
l’histoire du déjeuner de L’Isle Rouet, cette faim de bœuf, ou comme disaient
les anciens Grecs, cette boulimia, n’est pas sans inconvénient pour le
gaster. Il le gonfle et l’enflamme. Mais, vous connaissez nos
gentilshommes ! Outre qu’ils tiennent à honneur de manger trop parce que
les manants ne mangent pas assez, le fait de bâfrer comme des porcs exalte chez
eux le sentiment de leur virilité… Toutefois, pour Louis, il s’agirait plutôt
d’un trait héréditaire, car les Bourbons sont réputés pour être de grands
gloutons. Tel était son grand-père Antoine et tel fut son père. (J’ajouterais,
quant à moi, tel fut aussi son fils, Louis le Quatorzième.)
Par bonheur, Louis avait hérité de notre Henri d’autres
qualités que la fâcheuse propension à se gaver. Le lecteur se souvient sans
doute que le duc de Vendôme, frère bâtard de Louis, espérant, béjaune qu’il
était, qu’il se pourrait bâtir en Bretagne, dont il était le gouverneur, une
principauté indépendante, avait, avec l’aide du duc de Retz, fortifié d’aucunes
villes bretonnes. Et, mécontent de la paix de Sainte-Menehould qui ne lui avait
pas procuré les avantages qu’il en attendait, il s’était même, après la
signature du traité, emparé par surprise de Vannes et de son château.
La régente une fois sur la Loire, tandis qu’elle avançait de
ville en ville, lui envoya sans succès message sur message et comme elle se
rapprochait de Nantes, elle lui expédia pour finir le marquis de Cœuvres pour
le ramener à raison.
Or il se trouva, par le plus grand des hasards, que sur le
chemin de Poitiers à Mirabeau, le carrosse de Louis rencontra celui de Cœuvres
qui revenait de sa mission et qui, à la vue du roi, s’arrêta, mit pied à terre,
et salua Sa Majesté Laquelle, ayant mis la tête à la portière, lui demanda ce
qu’il en était de son ambassade.
— Sire, dit le marquis, Monseigneur de Vendôme vous
assure de son affection et de son obéissance.
— Quelle obéissance ! s’exclama roidement Louis.
Il n’a pas encore désarmé !
Cœuvres, fort embarrassé, lui tendit alors une lettre du duc
de Vendôme, mais le roi la refusa et lui commanda de la remettre à Monsieur de
Souvré. Et quand Monsieur de Souvré, le carrosse étant remis en marche, la lui
lut, Louis ne fit pas d’autre commentaire que celui, ironique et indigné, qu’il
avait fait en présence du marquis.
Le duc de Retz, qui avait aidé Vendôme dans ses entreprises
militaires en Bretagne, reçut bien pis accueil, quand il vint saluer le roi au
château de Nantes.
Nous étions en cette bonne ville depuis onze jours déjà
quand le vingt-deux août par une chaleur à crever, le duc de Retz, qui avait
plus de raisons que nous de suer sang et eau, vint faire sa soumission.
Bien pris en son pourpoint, brun de poil, d’œil et de
sourcil, le duc de Retz était l’arrière-petit-fils du banquier florentin
Antoine de Gondi, lequel cherchant fortune en France devint maître d’hôtel
d’Henri II. Il le servit fort bien et son fils servit mieux encore
Henri III, lequel le nomma duc et pair. Descendant d’une lignée
remarquable par sa fidélité au trône de France, le présent duc était le premier
Gondi à s’être rebellé contre l’autorité royale au grand chagrin de son oncle,
Philippe-Emmanuel de Gondi, général des galères : fonction dont on ne pouvait
dire qu’elle fût fort évangélique, alors même que l’homme qui l’assumait
s’abîmait dans les dévotions. À telle enseigne que deux ans après la mort de
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