L'Enfant-Roi
son Prince leur ramenât la paix,
l’ovationnait en d’infinies clameurs.
Ce grand voyage, assurément, avait libéré le Poitou et la
Bretagne des griffes de nos Grands. Mais il avait fait plus pour Louis, opérant
en lui un subtil changement. Pour les ministres qui avaient inspiré à la
régente cette cavalcade, il fallait montrer le roi aux Français. Mais pour
Louis, il s’était agi de voir la France. Et la France cessa d’être en effet
pour lui une belle image coloriée sur un carton et devint tout soudain à ses
yeux une exaltante réalité. Il est vrai qu’il n’avait vu qu’une partie de son
grand royaume, mais bien qu’il ne fût pas, comme il disait, « grand
parleur », il avait admiré sa beauté, ressenti l’amour de son peuple et
éprouvé la force du seul nom de roi, la rébellion baissant la crête dès qu’il
apparaissait. Tant est que d’un bout à l’autre de ce voyage et point seulement
à l’égard de Retz et de Vendôme, il avait pensé, parlé et agi en roi.
Toutefois, il y avait des ombres à ce tableau. On avait
intimidé les Grands, on ne les avait pas vaincus et il y avait fort à parier
qu’ils recommenceraient un jour leurs brouilleries. Quant à la reine, ayant
promené la personne sacrée du petit roi à travers le pays pour consolider son
propre pouvoir, elle commença, dès son retour à Paris, à craindre celui de son
fils.
Ses ministres lui conseillèrent alors un stratagème inspiré
par leur longue expérience : en son temps, la reine Catherine de Médicis
avait fait déclarer la majorité de Charles IX de très bonne heure afin de
se décharger de l’envie et des suspicions attachées au titre de régente en
couvrant dès lors toutes ses décisions du nom de son fils. La mère de Louis,
arguaient les ministres, si elle faisait de même, jouirait d’une autorité
beaucoup plus absolue, tout en étant beaucoup moins exposée.
Il n’y eut pas à chercher loin dans l’arsenal des
ordonnances royales pour justifier une majorité aussi prématurée. D’après l’une
d’elles, promulguée par Charles V le Sage [54] , le
roi de France devait être déclaré majeur à treize ans. De santé fragile et
sentant sa fin prochaine, Charles V avait voulu épargner ainsi à son aîné
le joug d’une longue régence. Il y faillit, les volontés d’un roi défunt étant
rarement respectées. Son aîné avait douze ans quand il mourut et, bien que
Charles VI fût proclamé majeur l’année suivante, il dut subir pendant huit
ans encore l’incommode tutelle de ses quatre oncles. Huit ans ! Jusqu’à sa
vingtième année ! Le précédent avait de quoi faire rêver la reine-mère…
Louis ne fut pas dupe des trompeuses apparences dont cette
majorité le flattait. Il entendait bien que ce n’était pas pour régner qu’on le
faisait majeur, même si, toujours au nom des mêmes faux-semblants, on
l’appelait plus souvent au Conseil.
Il ne laissa pas non plus de discerner l’hypocrisie qui se
cachait derrière la solennité que la reine-mère voulut donner à la déclaration
de sa majorité.
Le Parlement tout entier fut réuni dans la salle dorée du
palais, et Louis, qui goûtait fort peu le luxe et avait fait grise mine aux
bagues données par sa mère (« Madame, vela qui est trop pour
nous ! » ), fut habillé comme une idole d’un vêtement tissé d’or
et couvert de diamants. Lui qui répugnait si fort aux mariages espagnols, non
seulement parce qu’il allait devoir s’allier par le sang à une monarchie qu’il
tenait pour ennemie de la sienne, mais aussi parce que Madame serait
alors séparée de lui pour toujours, on lui mit autour du cou – symbole de
ce lien honni – le collier de trois cent mille écus qu’il devrait bailler
à l’infante, quand elle deviendrait son épouse. Et enfin, huit jours avant la
cérémonie, on lui donna un texte à apprendre par cœur et à réciter à cette
occasion devant le Parlement, devant sa mère, les princes du sang, les ducs et
pairs, les maréchaux de France, les ministres, les officiers de la couronne,
les ambassadeurs étrangers et tout ce qui comptait à la Cour.
Cette fois-ci, point n’était question de rien soustraire, ni
de rien ajouter au texte qu’on lui mettait dans la bouche. Jamais ses paroles
ne furent moins libres que le jour où il fut déclaré majeur et digne de
gouverner son royaume, jamais il ne fut plus soumis aux volontés de sa mère que
lorsqu’au cours de cette
Weitere Kostenlose Bücher