L'Enfant-Roi
point
rencontré ce matin. Siorac, reprit-il en se tournant vers moi, voulez-vous
demander à La Surie si la voie est libre ?
Ce que je fis et n’y ayant personne en vue, je revins au roi
prendre congé de lui. Il nous quitta alors et prit rapidement le chemin de La
Noue pour visiter Madame de Guise, puisque tel était le but apparent de sa
promenade. La Surie revint à nous quasi courant et la joue gonflée de
questions, lesquelles d’un geste mon père rebuta.
Nous étions nous-mêmes logés à La Noue, commodément près de
Madame de Guise, chez une accorte veuve qui, sur notre bonne mine et le collier
de Chevalier du Saint-Esprit que portait mon père, nous ouvrit sa demeure, sa
table et son cœur. Mon père ne pipa mot de la journée sur son entretien avec le
roi et quand enfin il parla, il se contenta de dire :
— Il va avoir treize ans et la Cour le croit très
au-dessous de son âge. Je le crois très au-dessus.
Mon père ne dit rien d’autre et ce ne fut que trois ans plus
tard qu’il revint sur le sujet.
*
* *
La veuve qui nous avait si amicalement accueillis en son
logis fut quasiment hors de ses sens, quand elle vit sa demeure animée par la
présence de trois gentilshommes pleins d’allant et de pointe. Mais sa félicité
se mua en désolation quand elle apprit que nous n’allions demeurer que trois
nuits à Blois alors que, comme Circé, elle eût aimé nous retenir plusieurs mois
chez elle par ses enchantements. Et décidée en cette extrémité à mettre les
bouchées doubles, elle nous bailla à tous trois dès la première minute des
œillades assassines, accompagnées de sourires et de soupirs qui promettaient
beaucoup.
Elle fit plus. Le sentiment que la fuite impiteuse du temps
lui allait dérober sans recours ces trois nuits et les discrètes délices
qu’elle s’en était proposées de prime, la poussa à franchir d’un coup les
barrières que la pudeur et la vertu lui eussent opposées, si elle avait eu plus
de temps devant elle.
Elle s’attaqua d’abord à moi, soit qu’elle eût eu plus
d’appétit à la jeunesse qu’à la maturité, soit qu’elle pensât que mon
inexpérience faisait de moi une proie plus facile. J’eus en tout cas la
surprise, comme je me dévêtais dans ma chambre la première nuit que je passai
chez elle, d’ouïr qu’on toquait à ma porte. C’était un valet qui m’apportait de
la part de sa maîtresse, dit-il, un flacon de vin de Loire et un gobelet
d’argent. Je lui mis quelques pécunes en main, il s’en fut et comme j’achevais
de me déshabiller, on toqua de nouveau à l’huis, lequel j’ouvris tout de gob,
pensant que ce fut le valet qui m’apportait des petites taquineries de gueule
pour aller avec le vin. Je fus béant de voir l’hôtesse surgir devant moi en ses
robes de nuit, portant bougeoir d’une main et gobelet de l’autre et me
demandant, non sans rougeur, mais avec un sourire des plus engageants, si
j’allais lui faire l’honneur de lui porter une tostée.
Cette dame s’appelait Madame de Cé et je ne sais quel
rapport elle avait avec cette ville au sud d’Angers qu’on appelle les
Ponts-de-Cé et que Louis devait rendre six ans plus tard illustre par la facile
victoire qu’il y remporta sur les Grands et sa mère.
Madame de Cé, issue de noblesse provinciale, ne manquait ni
d’esprit, ni de manières, ni d’agréments, et ce n’était assurément point sa
faute si le veuvage à trente ans l’avait rendue seulette, et bien malheureuse
de l’être. De son physique, c’était une mignote brune, petite, mais faite au
moule, vive, fraîche, frisquette, avec de petites mines appelantes qui
agaçaient fort l’appétit et qui me parurent, de reste, plus naïves que dévergognées.
Je mis sur moi quelque vêture et lui portai une tostée. Elle
m’en porta incontinent une autre et nous aurions glissé fort loin sur cette
pente-là, si en ressentant tout le péril et voyant le teint de la dame
s’empourprer, et sa taille fléchir, je n’avais pensé à lui dire, comme
incidemment, mais avec la mine la plus sérieuse, que je brûlais à Paris pour
une noble dame à qui j’avais juré fidélité.
Le joli visage de Madame de Cé parut si candidement désolé à
ouïr cette funeste nouvelle qu’à peu que je la prisse dans mes bras pour la
consoler. Mais, me méfiant de cette bonté-là, derrière laquelle ricanaient en
tapinois quelques petits démons, je me rangeai à un parti plus sage :
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