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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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calculer au plus juste la longueur de mon agonie, ce qui n’est
point si facile, à ce que j’ai ouï dire…
    — Que sinistre me paraît cette règle des quarante
jours ! s’écria Madame de Lichtenberg. Bonne Paulette ! Je suis
heureuse qu’elle la supprime !
    — M’amie, elle fait mieux que de la supprimer. Elle a
pour conséquence d’instituer, qu’on le veuille ou non, l’hérédité des offices,
en facilitant, en rendant même quasi automatique, leur transmission du père au
fils.
    — Et en quoi cela chagrine-t-il les officiers ?
    — Cela chagrine fort la noblesse qui, comparée au tiers
état, dispose en effet de peu d’offices.
    — Et pourquoi ?
    — Elle n’a ni les pécunes pour les acheter, ni les
capacités pour les remplir, étant ignare.
    — Ignare ! La noblesse de France ! Ignares,
votre père et vous ?
    — Mon père et moi, nous comptons parmi les plus
brillantes exceptions de ce siècle…
    — Monsieur, dit ma Gräfin en me piquant un petit
poutoune sur les lèvres, vous êtes un grand fat.
    — Madame, dis-je, si vous me punissez ainsi, je vais
continuer à l’être.
    — Revenons à nos moutons. Ainsi la noblesse abhorre la
Paulette.
    — Pour la raison que j’ai dite. Mais elle l’abhorre
aussi dans ses conséquences. En rendant plus facile l’hérédité des offices, la
Paulette tend à créer une aristocratie bourgeoise héréditaire, plus riche et
plus influente dans l’État que l’aristocratie d’épée.
    — La seconde aura donc intérêt à s’allier à la première
par le mariage.
    — Et, certes, elle ne s’en fait pas faute ! Mais
tout un chacun n’a pas la chance, comme le duc de Vivonne, d’épouser la fille
richissime d’Henri de Mesmes !
    — Qui est cet Henri de Mesmes ?
    — Notre lieutenant civil. Un noble de fonction, comme
on dit. Autant dire rien du tout aux yeux de la noblesse d’épée. Mais la
mésalliance est plus facile à avaler quand on se rince du même coup aux pécunes
bourgeoises. Toutefois, pour un noble d’épée qui a la chance d’épouser un beau
sac roturier, dix vont végétant dans leurs incommodes châteaux en vivant
chichement d’une pension royale. D’où cette grande aigreur, à la fois d’envie
et de mépris, à l’égard du tiers état.
    — D’où, si je vous entends bien, cette demande de
supprimer la Paulette ! Et que fit le tiers état pour parer à ce méchant
coup ?
    — M’amie, quand on a fait fortune dans le négoce, la
banque ou l’affermement des impôts, on ne laisse pas que d’être rusé et retors.
Le tiers état accepta, ou plutôt, feignit d’accepter la suppression de la
Paulette, mais demanda en contrepartie la diminution des tailles, pour soulager
la misère du pauvre peuple, duquel, de reste, il n’avait cure. Et comme d’une
part la diminution demandée s’élevait à quatre millions de livres et que,
d’autre part, la suppression de la Paulette entraînait une perte d’impôts d’un
million et demi de livres, pour pallier ce déficit, le tiers état réclama du
même coup un retranchement d’un million six cent mille livres sur les pensions
versées à la noblesse…
    — Il me semble, dit ma Gräfin, que c’était là
une jolie chatonie !
    — Assurément, mais elle n’augmenta pas l’amour que la
noblesse portait au tiers état. On échangea de part et d’autre des paroles fort
aigres. L’orateur du tiers état en s’adressant au roi remarqua que ce n’était
pas la Paulette qui avait écarté la noblesse des charges, mais « la
croyance en laquelle elle a été pendant de longues années que la science et
l’étude affaiblissaient le courage ».
    — Et la noblesse pense vraiment cela ?
    — Oui-da ! Et c’est même si vrai qu’il eût mieux
valu ne pas le dire ! La noblesse poussa des cris, se jugeant offensée. Le
clergé alors s’entremit. Et Richelieu, le jeune, frétillant et sémillant évêque
de Luçon, qui nageait dans les intrigues des états généraux comme un poisson
dans l’eau et cherchait toutes les occasions de se mettre en lumière, vint
demander au Tiers de donner « quelque satisfaction et contentement à la
noblesse ». Vous remarquerez, m’amie, que le prélat, fin comme l’ambre, ne
prononça pas le mot « excuses ». Henri de Mesmes les alla néanmoins
porter à la noblesse de la part de son ordre, mais elles furent si fièrement
faites qu’elles l’offensèrent derechef. Mon père a pris au vol en

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