Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
altier et résolu, et se faisant ouvrir la
porte de la tour du Trésor par Monsieur de Vaussay, le gouverneur de la
Bastille, s’engouffra seule et sans attendre le roi, dans le viret. Il comptait
deux cent trente-deux marches, et quand son fils et sa suite – dont
j’étais – la rejoignirent au sommet, il me parut qu’elle soufflait
beaucoup, encombrée qu’elle était par sa vêture de satin et les lourds bijoux
qui la paraient.
    À ce que je conjecturai, la salle fort sombre dans laquelle
on déboucha servait d’antichambre à la chambre du Trésor. Monsieur de Vaussay,
qui avait précédé la reine avec deux gardes, leur ordonna d’allumer des
flambeaux fixés au mur, lesquels, dès que les gardes eurent battu le briquet,
éclairèrent fort chichement une salle assez grande qui présentait la forme d’un
arc de cercle. Leurs flammes grésillantes et le nombre grandissant de
dignitaires qui se pressaient là ne laissèrent pas d’ajouter à la touffeur
humide et moisie de l’air et aussi peut-être au malaise que cette scène, si
disconvenable à la dignité royale, provoquait chez les assistants. On voyait, à
vrai dire, proche du plafond, un fenestrou carré et barreauté, mais il
admettait trop peu d’air dans cette salle pour nourrir la respiration de tant
de gens.
    La reine, toujours haletante de son ascension, paraissait
elle-même pressée d’en finir. Sans dire mot et d’un geste impérieux, elle fit
signe au chancelier de Sillery, lequel se précipitant à ses pieds avec une
profonde révérence, lui remit un parchemin roulé. Elle s’en saisit avec une
sorte d’avidité et l’élevant au-dessus de sa tête comme un bâton de
commandement, elle le montra aux assistants en disant avec une majesté quasi
écrasante :
    — Ceci est un arrêt du Conseil du roi.
    Puis se tournant vers Louis et lui tendant le parchemin,
elle ajouta d’une voix forte :
    — Lisez, Sire.
    Louis ne prit pas le parchemin. Fort pâle et paraissant près
de défaillir, il appuyait sa nuque et son dos contre le mur, tant est que
Monsieur de Souvré, craignant qu’il tombât, s’approcha de lui avec vivacité et
le soutint par le bras, tandis que le docteur Héroard lui mit de nouveau sous
le nez le mouchoir imbibé de vinaigre dont il s’était servi dans le carrosse.
    — Qu’est cela ? dit la reine avec hauteur en
dévisageant son fils. Se pâme-t-il ?
    — Je le crains, Madame, dit Héroard.
    Elle fut un moment à observer le roi d’un air revêche et
rebéqué. Marie n’était pas obtuse au point de ne pas avoir soupçonné que la
soumission de son fils à son égard pendant tant d’années était plus feinte que
réelle. Mais incapable de comprendre que seule sa propre tyrannie avait conduit
Louis à cette constante dissimulation, elle en accusait la noirceur de son âme.
« Il est sournois », disait-elle.
    — Se pâme-t-il vraiment ? dit-elle, se demandant
s’il ne s’agissait pas là d’un de ses « tours ».
    — Je le crains, Madame, dit Héroard, qui à cet instant
sans doute se posait la même question.
    — Monsieur de Souvré, dit la reine, bridant avec peine
son ire, le roi se pâme-t-il ?
    — S’il n’est point tout à fait pâmé. Madame, dit
Monsieur de Souvré, il n’en est pas loin.
    — Eh bien, nous nous passerons de lui ! dit la
reine avec une rage contenue.
    Et se tournant vers le chancelier, elle lui redonna le rouleau
de parchemin et dit avec la dernière brusquerie :
    — Lisez, Monsieur le Chancelier.
    Monsieur de Sillery lut. C’était un arrêté du Conseil du
roi, qui ordonnait qu’on passât outre aux refus répétés de la Chambre des
Comptes d’enregistrer ledit par lequel « le roi » avait demandé à
ladite chambre qu’elle l’autorisât de prélever un million deux cent mille
livres sur le Trésor de la Bastille afin de pourvoir aux mariages du roi et de Madame.
    Monsieur de Sillery eût dû s’arrêter là. Mais il ne put
s’empêcher, pour faire sa cour à la reine, d’ajouter avec une sorte de
truculence qu’il aimerait savoir comment le président de la Chambre des Comptes
pourrait justifier le fait que par cinq fois ladite chambre avait refusé
d’enregistrer l’édit du roi.
    Oyant ces mots, « l’édit du roi », j’espère que je
ne fus pas le seul en cette noble assemblée à penser que cet édit se fût mieux
porté d’être appelé « l’édit de la reine », pour la raison que Marie
n’avait pas appelé son

Weitere Kostenlose Bücher