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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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les babillages de derrière les courtines, lesquels ne s’épuisaient
jamais. Et à nos délices succédaient les larmes, et parfois, chose étrange, les
rires. Tout nous paraissait précieux, car nous nous appliquions à faire
avidement provision de tout le bonheur que nous pourrions emporter dans nos
mémoires, chaque mot ou chaque baiser rapprochant l’heure à laquelle nos
sommeils devraient se désunir et nos bouches s’absenter l’une de l’autre.
    Nos yeux furent les derniers à se déprendre. Car, le seuil
de son hôtel franchi, l’huis refermé sur moi par Herr Von Beck, je savais que
Madame de Lichtenberg, en ses robes de nuit, s’irait poster derrière celle de
ses verrières qui donnait sur la cour, et moi, levant la tête, devinant sa
forme à demi cachée par le rideau – comme si déjà la distance et le temps
la noyaient dans une brume qui irait s’épaississant – je m’arrêtai, un
pied sur le marchepied du coche de louage, et la saluai, les plumes de mon
chapeau balayant les pavés : geste vain et coutumier, alors que j’eusse
voulu lui crier encore tant de choses dont j’étais plein. Mais un de ses laquais
attendait, immobile et insolent, pour clore sur moi la portière du coche. J’y
entrai, je m’affalai sur la banquette et tirai les rideaux. Il était
temps : les larmes me coulaient sur les joues.
     
    *
    * *
     
    En l’absence de mon père, La Surie et moi assurâmes
l’installation aux étapes de la Maison du roi, ce qui nous donna les avantages
que l’on sait et les récriminations que l’on devine, car aucun des officiers du
roi ne se trouva content de son gîte, tant est que, sur le conseil avisé de La
Surie, je pris le parti de choisir à l’avance pour nous deux le plus médiocre
et le plus éloigné du roi et de répondre aux récriminants :
« Monsieur, si vous n’aimez point votre logis, voulez-vous prendre le mien ? »
Ceux qui acceptèrent sans le voir et se dédirent en le voyant ne furent pas
plus de trois ou quatre, mais ils me firent une telle réputation d’équité et
d’humilité qu’à la onzième étape nous pûmes à la parfin sortir de ce système,
et à Poitiers – que nous atteignîmes le trente et un août – nous
loger nous-mêmes convenablement sans qu’on nous soupçonnât d’avoir mis à profit
notre office pour nous tailler la part du lion.
    Nous eûmes le nez fin, car nous demeurâmes longtemps en ce
logis : la pauvre Madame qui, au parlement de Paris, tirait une
bien pauvre mine à l’idée d’être exilée à jamais loin de son frère bien-aimé
dans les palais dorés du roi d’Espagne, tomba malade de la petite vérole. Et
presque en même temps, la reine-mère pâtit d’une gratelle universelle. [66] Madame se rétablit sans que
son joli visage fût gâté, et grâce à un médecin juif, les tourments de sa mère
cessèrent à la longue, mais ces curations occupèrent quasi tout le mois de
septembre sans que la Cour pût quitter Poitiers.
    Pendant que la reine se lamentait de ses démangeaisons, la
Conchine tira avantage de ce qu’elle était si mal allante pour reprendre avec
elle, non sans succès, ce quotidien et insinuant commerce qui avait tant fait
pour son exorbitante faveur. De leur côté, Condé et les Grands, s’étant armés,
se firent si menaçants que le roi en son Conseil les déclara criminels de
lèse-majesté, et déchus de leurs biens et de leur honneur. Par malheur, la
puissante armée royale qui devait faire obstacle à leur progression avait reçu
de la reine l’ordre pusillanime de ne les point engager au combat, tant est que
les Grands réussirent en ce même mois à passer la Seine, puis la Marne et enfin
la Loire et menacèrent de faire leur jonction avec les huguenots de l’Ouest,
dont d’aucuns avaient, eux aussi, pris les armes. Mais comme les Grands, se
sentant, quant à eux, moitié moins nombreux et plus faiblement équipés que les
royaux, n’avaient garde de les attaquer, cette guerre-là devenait une sorte de
drôlerie dans laquelle les deux armées se côtoyaient, sans jamais s’arquebuser.
    Le temps me parut long à Poitiers. J’y écrivis à Madame de
Lichtenberg des lettres de plus en plus désolées et je m’inquiétais de voir
Louis si taciturne et si peu gaillard, car il disait souvent que « le cœur
lui faisait mal » et se plaignait quand et quand de
« tranchées » dans le gaster et aussi de « faiblesses ».
    La Cour s’ébranla à la parfin pour

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