L'Enfant-Roi
s’indignait de ces turbulences
espagnoles et en voulait à la reine de n’en point faire autant de cas que lui.
Il s’éloignait d’elle. Il abrégeait les visites qu’il lui faisait. J’ai noté
dans mon Livre de raison que le neuf mars, à Tours, de toute la journée,
il ne lui consacra que cinq minutes. Les vingt-deux et vingt-trois mars, il
oublia de la venir voir. Et enfin, du vingt-sept mars au huit avril, il fut
onze longs jours sans la visiter.
Chose à vue de nez étrange, ce ne fut pas la reine-mère qui
s’en alarma, mais Luynes. Marie, ayant dicté son fallacieux compte rendu sur la
nuit de noces de son fils, dormait sur ses deux obtuses oreilles : peu lui
chalait que la dynastie après elle se continuât ou non, par un petit-fils. Peu
la chagrinait que « la petite reine », comme elle disait, s’étiolât à
son ombre. Luynes, seul, veillait. Il voulait, et ce fut là son constant et
maternel souci, que le roi se rapprochât de sa femme et devînt vraiment son
mari. Aimant Louis et servant son roi, il désirait que sa maturité en
s’affirmant affermît son trône. Quand au cours du voyage en Guyenne, je
m’entretins avec La Surie des efforts que faisait Luynes dans ce sens, il me
fit une remarque qui me paraît digne d’être rapportée ici.
— Méritoires, mon beau neveu, ces efforts de Luynes le
sont… Mais peut-être Luynes tâche-t-il d’écarter par eux l’injuste soupçon de
bougrerie que la grande amour du roi pour sa personne pourrait faire naître.
Ladite Cour se trouvait à Tours en attendant que se conclût
le désastreux traité de Loudun avec les Princes, quand Luynes, qui jouissait en
sa bonne ville d’Amboise des charmes de son château, demanda à la reine-mère la
permission d’y inviter Anne, le roi se trouvant alors avec lui. Je gage que
Marie eût aimé refuser cette requête, mais j’ai ouï dire que le père Cotton,
qu’elle consulta à ce sujet, ne l’entendit pas de cette oreille : que
valait une bonne alliance sans un bon mariage ? Et pour l’Église, que
valait un bon mariage sans une belle et bonne œuvre de chair ? Et qui y
pouvait mieux pourvoir que la tendre cohabitation de deux jeunes époux ?
Partie de Tours à deux heures et demie de l’après-midi, Anne
suivit le fort plaisant chemin qui longe la grande rivière de Loire, si
lumineuse sous un ciel sans nuages et un soleil qui, pour une fois, sentait
davantage le juillet que l’avril. Dieu merci, Anne vint quasiment seule.
J’entends, sans la reine-mère, ni le gros de sa calamiteuse suite, laquelle
était réduite en l’occasion à une dizaine de femmes. Je ne compte point la
compagnie de gardes françaises qui sur le chemin avait veillé à ses
sûretés : ce bouclier ne gênait le roi en aucune façon.
Il fut content de voir Anne en si simple équipage et sans
les incommodités qu’il avait redoutées. Cela se sentit à la façon dont il
l’accueillit quand son carrosse atteignit la terrasse du château. Amboise
n’étant plus résidence royale, Luynes se trouvait là en qualité d’hôte, et sa
présence s’encontra fort utile, car parlant d’oc, il entendait assez bien
l’espagnol et servit de truchement. Anne, qui avait aimé le voyage le long de
la rivière de Loire, et à qui le soleil de cet avril ramentevait, en plus pâle
et voilé, celui de son Espagne, fut toute grâces et sourires, et quant à moi,
je la trouvai beaucoup mieux que « regardable », son ardent désir de
plaire l’embellissant.
Il y avait là, outre les trois premiers gentilshommes de la
Chambre (le quatrième [70] négligeant ouvertement sa charge).
Monsieur de Souvré, le docteur Héroard, et aussi Bellegarde, que Luynes avait
invité parce qu’il était le seul duc et pair que Louis vît d’un bon œil. Quand
Louis eut baisé Anne sur les deux joues, il y eut de notre côté bon nombre
d’agenouillements et de protocolaires poutounes au bas de la robe royale. Ces
cérémonies achevées, la rencontre devint plus familière, et Louis prenant son
épouse par la main, entreprit de lui faire visiter le château en lui
contant – ou plutôt en priant Luynes de lui conter – les souvenirs
des rois et des reines qui y avaient vécu.
On observa au cours de cet entretien que, plutôt qu’aux rois
de France, Anne s’intéressa surtout aux reines, et d’abord à Anne de Bretagne,
dont Luynes lui dit, comme elle visitait la chapelle Saint-Hubért, que
Charles VIII l’avait construite pour
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