L'Enfant-Roi
premier gentilhomme de la Chambre, j’ai souvent assisté
à ces rencontres et à en juger par le visage de Louis quand il s’y soumettait,
il en éprouvait à l’avance quelque appréhension, pour ne pas dire de
l’angoisse. Si bien je me ramentois, l’étiquette voulait qu’il s’y pliât deux
fois par jour. Et l’étonnant dans l’affaire, c’est qu’il lui arrivait d’aller
voir sa mère une troisième fois dans la même journée, tant est qu’on pouvait
s’apenser que cette fois-là au moins il n’y allait pas que d’une fesse, mais de
son plein gré. C’était bien là l’énigme. Qu’attendait le pauvret de cette
initiative ? Espérait-il encore trouver chez Marie cette petitime marque
d’affection ou d’intérêt à laquelle il avait aspiré toujours et qu’elle ne lui
baillait jamais ?
Il est vrai qu’à son ordinaire, et sauf pour la Conchine et
une poignée d’amis, la reine, la crête haute et la moue dédaigneuse, se
montrait, selon le dire de l’évêque de Luçon, « excessivement peu
caressante ». Mais elle ne faisait pas d’exception pour Louis. Et à la
vérité, que brèves, ternes, froides et compassées me semblaient les rencontres
de la mère et du fils ! Il n’y faillait pas, certes, les révérences, les
formes et l’apparent respect. Il y manquait l’essentiel : une parcelle
d’amour maternel.
Quand Louis visitait sa mère étant petit, elle ne s’occupait
pas de lui et feignait de ne pas le voir : il jouait seul dans un coin.
Majeur et marié, il restait debout devant elle, n’ouvrant pas la bouche, et
tout ce qu’il avait d’elle c’étaient des questions sur ce qu’il avait fait la
veille ou le matin même. Et Louis, entendant bien qu’elle tâchait seulement de
vérifier les récits de ses espions, lui répondait laconiquement. Parfois, il
lui adressait quelque demande. Le plus souvent, elle se faisait un-plaisir de
la refuser, surtout quand il s’agissait de pécunes. Elle qui, pour de bas
aventuriers, ouvrait largement les mains, les fermait pour le roi de France.
Debout devant elle, l’air respectueux et soumis, il
n’ignorait rien de ce quelle disait de lui : qu’il était incapable de
s’occuper des affaires du royaume ; qu’il avait l’esprit trop faible et
trop peu de jugement ; que sa santé n’était pas assez forte pour prendre
ces soins. Belle lectrice, avez-vous ouï cela ? Cette femme de si peu de
sens, jugeant le jugement de son fils ! Il y avait de quoi faire pleurer les
anges !
Si le déprisement, du côté maternel, était public et
flagrant, le méprisement chez Louis ne s’exprimait jamais, ni par une parole,
ni par une attitude, ni même par un regard. Se doutant bien pourtant que sous
cette lisse surface bouillonnaient des rancœurs et des ressentiments, la mère
ajoutait, on l’a vu, un défaut supplémentaire à tous ceux qu’elle attribuait
déjà à son fils : c’était un sournois. Pis même, comme ses menaces à
l’égard de Condé le prouvaient : un violent. Il faudrait donc se défier de
lui. Et, qui sait, un jour, le brider davantage.
Parfois, l’excessive tension que s’imposait Louis dans ces
visites à la reine-mère, dont la durée excédait peu souvent un quart d’heure,
s’avérait trop forte. Le sang lui montait à la tête, un malaise l’envahissait,
parfois même il se pâmait. Preuve supplémentaire, aux yeux de Marie, que
« sa santé n’était pas assez forte pour qu’il s’occupât des affaires du
royaume ».
Quand il fut marié, à ces visites à la reine-mère s’ajouta
une visite à la reine, qui ne durait que dix minutes. À chaque fois, je sentais
quelque compassion pour la petite Anne d’Autriche. Elle essayait si fort de
plaire à son époux. Elle y réussissait si mal.
Ce n’est pas qu’elle fût sans grâces. La princesse de Conti
qui se tenait, comme on sait, pour le parangon de toutes les beautés de France,
critiquait son « long nez espagnol » et le « grassouillet »
de sa taille. « Mais de reste, concédait-elle, elle n’a que quatorze ans,
et si son nez ne saurait raccourcir, sa taille, en revanche, pourra s’allonger.
Et ma fé ! ajouta-t-elle, le teint est pur, la bouche, cerise, les yeux,
vifs. Telle qu’elle est, je la treuve assez regardable. » C’est par
affectation que la princesse disait « treuve », et pour
montrer qu’elle avait lu Montaigne.
Pour moi, qui ne jugeais pas selon des canons aussi
rigoureux, je
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