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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Guise avait avec son assiette des alternances d’amour et de désamour. Tantôt
fort adonnée aux plaisirs et délices de gueule, elle mangeait trop et trop
bien. Et tantôt, souffrant du gaster, ou craignant de s’empâter, elle jeûnait
comme moine en carême. Ce soir-là, étant dans un jour de pénible vertu, elle ne
toucha guère à ses viandes, et moins encore à son gobelet. En revanche, elle
parla prou.
    Ce fut d’abord toute une homélie sur ma perverse volonté de
ne pas me marier, alors qu’il n’était fille noble à la Cour qui ne se sentirait
honorée que je l’épousasse, mon père étant chevalier du Saint-Esprit, moi-même
premier gentilhomme de la Chambre, par ma grand-mère né Caumont, illustre
famille périgourdine, et par ma mère…
    — Et est-ce rien, dites-moi, poursuivit-elle d’un air
vengeur, d’avoir du sang Bourbon dans les veines ?
    — Ce n’est pas rien, dis-je en m’inclinant. Et c’est
davantage encore, d’avoir une mère telle que vous…
    Et me levant de table, j’allai me mettre à son genou et lui
baisai la main.
    — Ne pensez point que vous m’allez radoucir par là,
dit-elle en se radoucissant. Si encore vous deveniez l’amant d’une haute dame
dont la naissance, le crédit et la beauté vous seraient à honneur, au lieu que
de vous vautrer dans la bauge des amours ancillaires !
    Ma belle lectrice se ramentoit sans doute que, pour Madame
de Guise, mes chambrières – dont elle pensait que j’étais encore
épris – étaient des « souillons de cuisine », et les siennes,
des « gardiennes de vaches », surtout quand elles étaient, comme
Perrette, d’un joli achevé.
    Je repris ma place à table et l’écoutai avec l’amour
attendri que je lui portais, car il me semblait parfois que j’étais plus âgé
qu’elle. Toutefois, j’attendais aussi avec quelque impatience qu’elle épuisât
le sujet avant que je le fusse. Par bonheur, elle tarit plus vite que je
n’eusse cru. Et saisissant au vol un petit silence qui se creusa au milieu de
son discours, je lui demandai, par manière de diversion, comment allait son
aîné.
    L’entretien prit alors un tour tout à plein intéressant, et
j’ouvris mes oreilles, que jusque-là je n’avais décloses qu’à demi. Et d’autant
que, loin de dire pis que pendre du duc comme à son accoutumée, elle en fit le
plus vif éloge.
    — Ah ! dit-elle. Le duc vient de me donner, à la
parfin, un grand motif de satisfaction ! Il s’est montré digne de son rang
et de son sang ! Je n’ai donc pas perdu mes peines et mes conseils ont
porté leurs fruits !
    Je ne pus m’empêcher d’ouvrir de grands yeux à un début si
différent de ses habituelles mercuriales contre son aîné, et ce fut là de ma
part un heureux faux pas, car il porta Madame de Guise, pour me convaincre, à
me conter davantage de l’affaire que sa discrétion de cour ne le lui eût
autrement permis.
    — Vous n’êtes pas sans savoir, poursuivit-elle, à la place
que vous occupez au Louvre, que les Grands, tirant avantage des festins de
bienvenue qu’ils donnent pour l’heure à My Lord Hayes, se réunissent le soir en
l’hôtel de Condé, et dès que l’ambassadeur d’Angleterre est parti se coucher,
complotent contre Conchine.
    — Je l’ai ouï dire, en effet, Madame.
    — Le duc de Guise y était, ou en était, comme vous
voulez, et hier soir, il a ouï de la bouche de Condé une déclaration tout à
fait surprenante. « Il faut, disait Condé, se hâter de faire ce que nous
avons entrepris, mais il faut aussi en examiner les suites, car la reine sera
si mortellement offensée par la mort de Conchine qu’elle s’en voudra venger sur
nous. Et je ne vois à cela qu’un remède : l’éloigner du roi. »
    — Tudieu ! dis-je. Voilà qui va loin ! Car pour
éloigner Marie du roi, il la faudra d’abord enlever ! Et à cela que
répondirent les princes ?
    — Ils s’entreregardèrent et se turent.
    — Tous ?
    — Tous, à l’exception de mon fils ! dit Madame de
Guise, non sans une grande bouffée d’amour maternel.
    — Et que dit-il ?
    — Qu’il y a grande différence entre s’en prendre au
maréchal d’Ancre, homme de néant, l’opprobre et la haine de la France, et
perdre le respect qu’on doit à la reine et faire entreprise contre sa personne.
« Pour moi, ajouta-t-il, je hais le maréchal, mais je suis le très humble
serviteur de Sa Majesté. » Eh bien, que dites-vous de cela,

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