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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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la reine-mère, cela allait de soi, il était Concini ;
pour les courtisans, le maréchal d’Ancre, du moins en public ; ceux qui le
léchaient lui baillaient de « l’Excellence », que la dignité de son
titre, en effet, requérait. Le roi eût dû s’adresser à lui en lui disant
« mon cousin ». Il ne le faisait jamais, récusant tacitement
l’honneur injustifié que sa mère avait fait à ce faquin. Quand il avait à le
nommer, d’une façon bien caractéristique, il francisait son nom et l’appelait
Conchine. Le peuple, qui haïssait furieusement le Florentin, lui accolait, par
haine autant que par prudence, tout un bouquet de surnoms injurieux : il
coglione [89] était le plus doux.
    Quand elle s’adressait à l’épouse du grand homme, Madame de
Guise disait « Madame la Maréchale » ; quand elle parlait à ses
amies en petite compagnie, « la signora Concini ». En son hôtel avec
moi, « la Galigaï », et quelquefois, comme moi-même, la Conchine. En
notre logis de la rue du Champ Fleuri, nous ne l’appelions que l’Araignée, pour
la raison que, vivant en recluse au-dessus de la reine, « elle descendait
la voir chaque soir pour l’engluer dans ses toiles » . Et de peur
que soit par le contexte, soit par la force évocatrice de l’image, Mariette,
dont les oreilles aimaient traîner dans les alentours, ne finit par entendre
qui nous désignions par là, nous usions du mot latin : aranea, ou
du mot grec : arachnée.
    À la mi-août – mais je ne saurais préciser le
jour – je me présentai à neuf heures dans les appartements du roi, et fus
béant, tant il était levé tôt à l’accoutumée, de le trouver encore au lit.
Monsieur de Souvré m’expliqua à voix basse que ne pouvant s’ensommeiller la
veille en raison de l’étouffante chaleur, Louis s’était relevé et s’étant vêtu
de sa robe de chambre, il avait gagné son cabinet des livres et s’était amusé à
chanter jusqu’à minuit.
    Comme il achevait ce récit, Louis se réveilla et nous
envisageant, assis sur son séant, battant encore des paupières, et le cheveu
ébouriffé, il nous annonça avec le dernier sérieux que l’ennemi s’était emparé
par traîtrise et surprise du château de Chambord, mais Dieu merci, il l’en
avait chassé sans tant languir par une forte attaque qu’il nous décrivit par le
menu et sans bégayer le moindre, usant d’expressions que j’ignorais, mais dont
le maréchal de Souvré me dit plus tard qu’elles étaient appropriées à un assaut
donné dans les règles.
    Après ce récit, Louis pria Dieu, refusa de déjeuner (ce qui
m’eût inquiété, s’il n’avait pas eu le visage gai et comme ragaillardi par son
rêve guerrier) et avant d’aller visiter la reine-mère, il me dit de
l’accompagner jusqu’à son cabinet aux armes pour me montrer une arquebuse que
le duc de Bellegarde lui avait donnée la veille. Là-dessus, il appela
Descluseaux pour qu’il courût déverrouiller l’huis, et sur le chemin, comme
nous montions l’étage, il ajouta encore quelques détails qui lui revenaient sur
la glorieuse prise, ou plutôt reprise, du château de Chambord par ses armées.
    Son ton, sa voix, son visage, tout changea en un clin d’œil
dès que Descluseaux eut reclos l’huis sur nous.
    —  Sioac, dit-il à voix basse en démontant avec
bruit et noise l’arquebuse de Bellegarde, connaissez-vous Déagéant ?
    — Non, Sire. Mais mon père a eu affaire à lui.
    — Comment cela ?
    — Déagéant lui apportait en catimini, de la part du roi
votre père, des pécunes pour ses missions secrètes.
    — Et que pense le marquis de Siorac de Déagéant ?
    — Beaucoup de bien.
    — Moi aussi, dit Louis en m’envisageant d’un air grave
de ses beaux yeux noirs.
    — Toutefois, Sire, dis-je après un instant de réflexion,
Déagéant est le commis de Barbin.
    — Cela n’empêche point, dit Louis, qu’il me soit bon
serviteur. Je voudrais, Sioac, que vous rencontriez Déagéant. Il est
extrêmement bon.
    Mon lecteur se ramentoit sans doute que cette façon de
s’exprimer était particulière au roi.
    — Et, Sire, que lui dirai-je ?
    — C’est lui qui vous dira des choses.
    Le roi reprit :
    — Déagéant étant le commis de Barbin, il ne serait pas
sans péril pour lui de me voir souvent.
    J’entendis alors que le roi attendait de moi que je fusse un
relais entre Déagéant et lui-même. Louis lut dans mon regard, et ma
compréhension et

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