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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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moi ses yeux noirs, brillants et malveillants comme s’il
méditait de m’empoisonner.
    Je ne trouvai à table que la princesse de Conti, qui
m’expliqua avec mille grâces qu’elle n’était là que pour charmer mon attente,
sa mère s’attardant à ses toilettes et parures. Je la trouvai fort épanouie et
d’une mine à couper le souffle à quiconque ne serait pas né bougre. Homme de
prime saut comme je suis, je lui dis avec quel ravissement je m’emplissais les
yeux de son émerveillable beauté.
    — À la bonne heure, mon petit cousin ! dit-elle en
égrenant un petit rire de gorge fort taquinant. Voilà qui est parler comme il
faut, et qui mérite récompense ! Je vous permets de me lécher le bout des
doigts et de me donner un baiser ! Mais point sur le visage ! Vous
gâteriez mon pimplochement !
    — Et où donc, Madame ?
    — Dans le cou.
    — Dans le cou, Madame ! dis-je non sans élan.
    Et tournant alors autour d’elle, car je ne trouvais que fard
même dans son cou, je soulevai ses cheveux aile de corbeau et la baisai sur la
nuque. Pour parler franc, j’y trouvai un vif plaisir.
    — Fi donc, mon petit cousin ! dit-elle en tordant
élégamment son torse en arrière pour m’écarter d’elle de toute la longueur de
son bras. Comme vous y allez ! Ce n’est pas là baiser, mais
lècherie ! Sainte Vierge ! Qui vous a appris ces façons-là ?
Quelqu’une, je gage, qui n’était ni sainte, ni vierge !
    — Madame, dis-je, je n’ai fait que suivre l’inspiration
du moment.
    — L’inspiration ! Vous me la baillez belle !
Mais j’en frissonne encore ! Ne savez-vous pas que les femmes véritables
ont la nuque très sensible ? Et oubliez-vous que nous sommes du même
sang ? Vous voilà quasiment aussi incestueux que mon frère
l’archevêque ! Je sais ! Je sais ! Vous m’allez répondre
qu’étant mon demi-frère, vous ne fîtes là qu’un demi-inceste !
    — Hélas, Madame, hélas ! Ce n’en était même pas le
cinquième !
    — Et vous avez le front de le regretter ! Tenez,
Monsieur, vous n’êtes qu’un ruffian !
    — Qui est le ruffian ? dit la duchesse de Guise en
pénétrant dans la pièce.
    — Moi, Madame, dis-je en balayant le tapis de Turquie
des plumes de mon chapeau, mais en prenant grand soin de ne les point casser,
car elles m’avaient coûté fort cher.
    — Et quelle est la querelle ? poursuivit Madame de
Guise en nous couvrant l’un et l’autre de ses tendres regards.
    — Un baiser, qu’on me reproche d’avoir fait trop long
et trop tendre, alors qu’on m’avait prescrit de le déposer sur le cou.
    — La nuque n’est pas le cou, dit la princesse de Conti.
    — Mais la nuque fait partie du cou.
    — La belle raison !
    — Paix-là ! dit Madame de Guise en levant les yeux
au ciel, moins pour le prendre à témoin de nos enfantillages que pour mettre en
valeur la beauté de ses prunelles bleues. Ma fille, quelle archicoquette vous
faites ! Vous voilà badinant avec votre propre frère, tant vous avez soif
de l’hommage des hommes !…
    — Mais cette soif, je l’ai héritée de vous, ma mère,
dit la princesse de Conti en se levant et en plongeant à terre dans une
révérence tant profonde que gracieuse.
    Dès quelle se fut relevée, les deux femmes s’embrassèrent
aussi étroitement que le leur permettaient leurs vertugadins, chacune
effleurant la joue de l’autre de ses lèvres, de façon à ne pas gâter la
couleur, ou les couleurs, qui se trouvaient là.
    — Je m’ensauve ! dit la princesse de Conti
abruptement, après un coup d’œil effrayé à sa montre-horloge. Ne m’approchez
pas, misérable ! poursuivit-elle en m’adressant des yeux et des lèvres un
éclatant sourire. Je ne vous pardonnerai jamais !
    En trois grands pas de ses longues jambes, elle fut à la
porte et disparut.
    — Jour du ciel ! dis-je, quand l’huis fut retombé
sur elle. Où court-elle donc si vite ?
    — Ne le devinez-vous pas ?
    — Va-t-elle marier son amant, maintenant qu’elle est
veuve ?
    — Rêvez-vous, mon Pierre ? Ma fille, renoncer à
son titre de princesse ! Pour devenir la comtesse de Bassompierre !
Elle qui se veut si haute !
    — Mais le péché, Madame ? Elle qui est si dévote…
    — Dieu merci, le péché n’a jamais rien empêché, dit
Madame de Guise avec un rire comme si elle faisait là un retour sur sa propre
vie.
    On soupa, et fort bien, comme toujours en son hôtel. Madame
de

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