L'Enfant-Roi
mon
Pierre ? N’est-ce pas admirable ?
— C’était là, en effet, un discours cohérent.
— Cohérent ? dit-elle, ébouriffant ses plumes et
la crête dressée. Quelle sorte d’étrange mot est-ce là ?
— Du latin : cohaerens. Qui tient bien
ensemble.
— Le diantre soit de votre latin, Monsieur le
savant ! Est-ce là tout l’éloge que vous faites de la droiture du duc de
Guise ? Seriez-vous jaloux de votre aîné, pour le louer si
petitement ? Et qu’est-ce donc que ce jargon, s’il vous plaît ?
— Madame, le mot veut dire que le duc de Guise demeure
fidèle à Sa Majesté, comme il l’a toujours fait depuis six ans. Je ne saurais
lui faire une plus belle louange que celle-là. Ni plus dure critique de Condé,
en disant qu’il y a beaucoup d’incohérence dans sa conduite. Il est le chef du
Conseil du roi, il a la plume, il est de fait co-régent du royaume et il
complote contre le pouvoir même dont il fait partie. Et peux-je vous demander,
Madame, ce qu’a fait le duc de Guise, à ouïr ces propos de Condé ?
— Que voulez-vous qu’il fît, sinon les répéter
incontinent à la reine ?
Il ne fut pas le seul. L’archevêque de Bourges, qui faisait
lui aussi partie du complot contre Conchine, avertissait de son côté Marie,
mais à des heures convenues, et de nuit, pour ne pas être vu entrant au Louvre
dans ses appartements. J’appris plus tard par un commis de Barbin, appelé
Déagéant (et qui est appelé à jouer un rôle de grande conséquence dans la suite
de ce récit) que Condé, éternel incertain, hésitait entre deux projets pour la
période qui devait suivre la disparition de Conchine : tantôt, la
reine-mère enlevée, il se rendait maître de l’esprit du roi, et lui faisant
faire ce qu’il voulait, régnait en roi sans en avoir le nom ; tantôt, la
reine reléguée dans un couvent, il faisait déclarer nul le mariage
d’Henri IV et de Marie de Médicis, sous le prétexte qu’Henri IV,
préalablement à cette union, avait signé une promesse de mariage à la marquise
de Verneuil. Tant est que Louis n’étant plus qu’un bâtard, Condé le déposait et
régnait à sa place.
Mon père, quand je l’instruisis de ces plans, me demanda ce
que je pensais du premier.
— Jamais Condé ne se rendra maître de l’esprit de
Louis. C’est utopie. Louis le hait. Au moins autant que Concini. Et vous,
Monsieur mon père, que pensez-vous du second plan ?
— Sa stupidité passe l’entendement. La promesse de
mariage écrite à la Verneuil a été remise par l’intéressée au roi au moment où,
ayant comploté contre lui, elle se trouvait emprisonnée ; et le roi l’a
brûlée. Qui pourra donc prouver que cette promesse ait jamais existé et qu’elle
annulait le mariage subséquent ? Qui plus est, voyez-vous le pape annuler
le mariage de Marie de Médicis, alors que de tous les souverains de la
chrétienté, elle lui est sans aucun doute la plus soumise ?
— À votre sentiment, Condé, malgré cela, est-il
dangereux, Monsieur mon père ?
— Je ne sais. Il est malheureux dans son être physique,
étant petit, malingre, souffreteux, avec ce curieux nez en bec d’aigle qui n’a
rien à voir avec le nez Bourbon (ici, mon père esquissa un sourire, en jetant
au mien le plus bref coup d’œil). Étant bougre, et très dominé par ses favoris,
il ne sait plus très bien à quel sexe il appartient. Et surtout, il nourrit
d’irrémédiables doutes sur son propre sang : est-il vraiment le fils du
prince de Condé, ou du page qui, forniquant avec la princesse, empoisonna le
prince sur son ordre ? Ces doutes le rongent, lui donnent à craindre
d’être méprisé, et font de lui un homme malcommode, aigri, agité, inconstant.
Il tourne à tous vents. Il babille beaucoup, mais il agit peu. Il est téméraire
en paroles, mais pleutre en action. Il a de la pointe, mais pas de nerfs. À
peine a-t-il entrepris qu’il s’effraye, il s’angoisse, il pleure. Il dit cent
choses qui se contredisent. Toutefois…
— Toutefois, Monsieur mon père ?
— Même un brouillon de ce faible calibre peut faire
beaucoup de mal, s’il s’encontre autour de lui des gens qui suppléent à ses
faiblesses.
CHAPITRE XIV
Dans ces Mémoires, je donne indifféremment trois noms au
favori : Concini, Conchine, ou le maréchal d’Ancre. Mais à l’époque, il
s’en fallait que ces diverses façons de le désigner fussent neutres et sans
signification. Pour
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