L'Enfant-Roi
en
confidence que Richelieu « voyait bien que les choses ne se passaient pas
comme elles devaient être et que Sa Majesté n’avait pas sujet d’être
satisfaite ; que s’il plaisait à Sa Majesté de le vouloir considérer comme
un de ses ministres, il n’y aurait rien, soit en sa charge, soit aux autres
affaires venant à sa connaissance, qu’il ne lui en donnât un fidèle avis ».
Cette démarche troubla fort le Conseil secret et fut
interprétée de deux façons tout à fait opposées. D’aucuns s’inquiétèrent, se
demandant si Richelieu n’avait pas eu vent de notre complot. D’autres, comme
Luynes, opinèrent que Richelieu n’eût pas pris cette initiative si Conchine
avait nourri à l’égard du roi les projets meurtriers que nous lui prêtions. Et
Luynes, comme il fallait s’y attendre, en tira argument pour suggérer
d’ajourner l’arrestation de Conchine. À peine avait-il dit, que Louis, blême de
colère, le rabroua : la date fixée ne serait pas changée. La remettre
serait ébranler la confiance que Vitry avait en la fermeté de notre résolution.
Des lèvres mêmes de Richelieu, j’appris plus tard qu’en fait
il ne savait rien de ce qui se tramait du côté de Louis contre Conchine, et non
plus du côté de Conchine contre son souverain. Mais étant alors ministre en
demi-disgrâce, et quasi démissionnaire, malmené, offensé et calomnié par
Conchine, augurant mal, de reste, de l’avenir du maréchal à observer de près
ses folies, il cherchait désespérément autour de lui une branche sur laquelle
se poser, se sentant si mal à l’aise sur celle où il s’était niché et craignant
qu’elle cassât d’une minute à l’autre en l’entraînant dans sa chute : ce
qui se serait à coup sûr produit s’il n’avait pas pensé au dernier moment, et
quasi à l’aveugle, à tendre au roi du bout du bec cette brindille d’olivier.
Son destin se joua là.
C’est le dix-neuf avril que Richelieu chargea son beau-frère
de porter ce message à Luynes. Quatre jours nous séparaient encore de la date
fixée pour l’exécution de Conchine. Or, depuis le premier du mois, le ciel et
l’air ne firent quasiment autre chose que pleuvoir de matines à vêpres et du
couchant à l’aube, laquelle était brouillée de nuées innumérables, le soleil,
de tout le jour, ne parvenant pas à percer. On eût dit que la Nature boudait le
genre humain, nous envoyant pour harceler nos pauvres têtes cette perpétuelle
pénombre de fin du monde, ces brumes méphitiques, et sans la moindre interruption,
les lances et les rayures de ses eaux diluviennes. J’eusse presque préféré, je
crois, grêles, éclairs et foudres, à cette pluie perpétuelle qui martelait sans
fin les toitures et les vitres et remuait en nous je ne sais quoi d’angoisseux
et d’amer.
D’après ce que me dit le jeune Berlinghen, et il le devait
savoir, étant fort dérangé, pendant les quatre nuits qui succédèrent à ces
quatre jours, et qui furent à peine plus noires qu’eux, le roi ne dormit pas,
ou s’il s’ensommeillait, se réveillait avec des cris, tournant, j’imagine, dans
sa tête fiévreuse les mêmes âcres pensées. À son réveil, « ne sachant que
dire à Héroard », à ce qu’il me confia plus tard, il se donnait peine pour
prendre un air gai et dispos et ce « bon visage » qu’Héroard notait
scrupuleusement dans son journal. Le reste de la journée, la face
imperscrutable, il faisait mine de s’adonner à ses puériles occupations.
Ce propos du roi (« je ne sais que dire à
Héroard ») me donna à penser que, si improbable que cela paraisse, il
n’avait pas mis Héroard dans la confidence du complot, peut-être parce
qu’Héroard était le plus surveillé de ses serviteurs, et par conséquent, le
maillon le plus faible.
Enfin se leva le jour du vingt-trois avril, si du moins on
peut dire qu’il se leva, parce qu’il ne fut pas moins sombre ni moins pluvieux
que tous ceux qui l’avaient précédé depuis le début du mois. Conchine étant
accoutumé à venir au Louvre entre neuf heures et dix heures du matin, on avait
posté Dubuisson au coin du quai de Seine où se dressait sa maison, afin que,
voyant le maréchal en sortir, il courût prévenir de son approche Vitry et ses
hommes qui se promenaient par deux ou trois dans la cour du Louvre, cachant
sous leurs manteaux, en raison de la pluie, leurs pistolets chargés. On
préviendrait aussi le roi, lequel dépêcherait
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