L'Enfant-Roi
mignonnes oreilles –, vous
vous trouverez sur un pont de bois fixe appelé « pont dormant »
(ainsi appelé, disait La Surie, parce qu’il n’est pas assez réveillé pour se
lever) ; lequel pont a deux toises et demie [94] de
largeur et enjambe partiellement les douves – fossés emplis d’une eau
noirâtre et nauséabonde, où les deux balustres du pont vous garantissent de
choir. Si vous poursuivez votre chemin, vous trouverez côte à côte, faisant
suite au pont donnant, deux ponts-levis, l’un grand, l’autre petit. Le
grand, qui ne l’est d’ailleurs que tout juste assez pour laisser passer un
carrosse, vous amène à un passage voûté, lui-même fermé par une porte cochère
et une porte piétonne – celle-ci, la seule qui permette de filtrer un à un
les arrivants, et qu’on appelle le guichet, commande le plus petit des
deux ponts-levis, lequel on a nommé, ou plutôt surnommé, la planchette. Si
vous êtes à pied et si la porte cochère de la voûte est fermée, c’est ladite planchette
qu’il vous faudra emprunter, laquelle vous conduira au guichet, que le
capitaine aux gardes, sur votre belle et bonne mine, ne manquera pas de
déclore.
*
* *
Voici maintenant le plan que Vitry exposa au roi :
Avant l’arrivée de Conchine au Louvre, on ferme la porte cochère du passage
voûté et on ne laisse ouvert que le guichet. Et dès que Conchine a
pénétré sur le pont donnant, on ferme derrière lui la grande Porte de
Bourbon, ce qui l’isole du reste de sa suite. Il se trouvera ainsi non, comme
on l’a dit, dans une souricière, car le guichet demeure ouvert, mais
dans un endroit resserré, où ceux de sa suite qui ont pu en même temps que lui
pénétrer sur le pont donnant se trouveront quasi au coude à coude. Même
s’ils sont alors plus nombreux que la vingtaine de personnes dont dispose
Vitry, ils ont très peu de place pour tirer l’épée, laquelle serait d’ailleurs
peu efficace contre les pistolets des assaillants.
Pas un de nous, à ouïr ce nouveau plan, n’eut envie d’en
débattre, tant il nous parut sans faille. Et de reste, aurions-nous eu la
démangeaison de le contester que nous ne l’eussions pu, car Vitry avait à peine
fini de l’exposer que le roi l’adopta très résolument, le trouvant, selon sa
coutumière expression, « extrêmement bon » dans toutes ses parties.
Il n’y avait plus qu’à attendre. Et Dieu sait si l’attente
fut longue – et le reste de l’après-midi, et la nuit, et le matin. Chose
étrange et qui nous frappa comme d’un bon augure – car dans toute action
qui vous tient à cœur on ne peut qu’on ne devienne superstitieux –, le
lundi vingt-quatre avril, la pluie qui depuis le premier jour du mois n’avait
point, nuit et jour, discontinué, tout soudain cessa, nous laissant comme
étonnés de ne plus entendre son odieux crépitement.
Vitry, homme simple et tout d’exécution, se réjouit aussi
que la pluie eût cessé, mais pour une raison pratique : les amorces
n’étant pas mouillées, les pistolets ne risquaient pas de faire long feu. Il
prit aussi quelques mesures, qui montraient qu’un homme de guerre doit tout
prévoir, y compris l’imprévisible. Au lieu de faire porter ses ordres à
Monsieur de Corneillan au sujet de la Porte de Bourbon par un garde, il prit la
peine, de peur qu’ils fussent mal transmis, ou mal compris, d’aller lui-même
trouver ce gentilhomme.
La grande Porte de Bourbon ne pouvait, en effet, être close
ou déclose par les archers de la prévôté que sur le commandement exprès du
capitaine de la porte ou de son lieutenant, lequel ne pouvait rien faire sans
l’aval du capitaine aux gardes, en l’occurrence Monsieur de Vitry. Monsieur de
Corneillan, lieutenant de la porte, étant ce vingt-quatre avril de service, en
remplacement de son capitaine, c’est à lui que Vitry donna de vive bouche
l’ordre de demeurer vigilant à la Porte de Bourbon jusqu’à ce que le maréchal
d’Ancre apparût, et de fermer ladite porte immédiatement après son entrant, qui
qu’en grognât de ceux qui seraient laissés dehors.
Vitry se rendit ensuite au premier étage, dans la grande
salle du Louvre et donna l’ordre aux Suisses qui s’y trouvaient pour assurer la
garde d’honneur de descendre en dessous, dans la salle dite des Suisses [95] afin de renforcer leurs camarades.
Il alla ensuite trouver Monsieur de Fourilles, capitaine de la compagnie des
gardes françaises de
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