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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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roula
sur le côté et s’affaissa, la face touchant le plancher sali du pont
dormant. Dans ce mouvement, une des galoches que Conchine avait mises
par-dessus ses chaussures pour les protéger de la boue, s’échappa de son pied,
passa sous la balustrade du pont et chut dans les douves. Étant tombée du bon
côté, elle ne s’enfonça pas aussitôt, mais flotta quelques instants sur l’eau
noirâtre.
     
    *
    * *
     
    Ayant conté ce qui précède sur la foi des récits qui me
furent faits par les acteurs du drame, j’aimerais, lecteur, que vous me
permettiez de remonter avec vous de quelques heures le cours du temps, alors que
sur les sept heures du matin, mal réveillé, si je puis dire, de mon insomnie,
je m’achemine vers les appartements du roi, me doutant bien que cette matinée
du vingt-quatre avril allait être pour Louis anxieuse et longuissime.
    Je trouvai dans l’antichambre le jeune Berlinghen, qui
dormait tout habillé sur une escabelle.
    — Que faites-vous là ? dis-je en le secouant.
    — Sa Majesté m’a renvoyé cette nuit de sa
chambre : je ronflais trop.
    Il ajouta avec sa coutumière naïveté :
    — C’est là le mauvais d’avoir un maître qui dort si
mal : il vous oit.
    — Dort-il si mal ?
    Berlinghen hocha sa tête blonde et bouclée.
    — Et qui pis est, quand il dort, il parle dans son
sommeil. Vramy, s’il n’était pas le roi, je dirais qu’il m’incommode.
    — Comment savez-vous que c’est dans son sommeil qu’il
parle ?
    — Il n’a pas la même voix.
    À ce moment-là, on entendit ladite voix venant de la
chambre, et celle-là n’était pas celle d’un dormeur, mais celle, impérieuse et
impatiente, d’un homme bien éveillé.
    — Berlinghen, qui est là ?
    — Monsieur de Siorac, Sire.
    — Berlinghen, va quérir Monsieur de Luynes et le
docteur Héroard, et dès qu’ils arriveront, qu’ils entrent, et Monsieur de
Siorac aussi.
    — J’y vais songer, Sire, dit Berlinghen, qui ne fit pas
mine pour autant de se lever de son escabelle.
    — N’y songe pas ! Cours !
    — Oui, Sire, dit Berlinghen, qui fit exprès de
renverser son escabelle en se mettant sur pied, pour bien montrer par ce fracas
avec quel zèle il obéissait aux ordres de son maître. Toutefois, il n’avait pas
fait deux pas dans l’antichambre qu’il reprit son allure nonchalante.
    Je n’avais pu déjeuner à mon lever, l’estomac et la gorge me
serrant, de sorte que me sentant quelque peu faible, les jambes molles et
l’esprit ennuagé, je relevai l’escabelle et m’assis dessus, la tête dans mes
mains, pensant à ma Gräfin et à mon père, auxquels je n’avais pas touché
mot de notre entreprise. Je me demandai si je les reverrais jamais, si je ne
vivais pas mes dernières heures de liberté, ou même mes dernières heures de
vie, car si notre action échouait, je n’ignorais pas que la vengeance de
Conchine serait sans merci, et d’y avoir seulement pensé, elle me devint, je ne
sais pourquoi, infiniment probable : je me voyais déjà la tête sur le
billot, la sueur me coulant entre les omoplates, et je me trouvai plongé,
quoique somnolent, dans les pires alarmes quand Déagéant survint.
    — Eh quoi ! dit-il. Monsieur le Chevalier, vous
dormez ! Vous pouvez dormir dans le mitan des pires périls ? Ah, que
c’est donc plaisant d’être jeune et insoucieux !
    Je me sentis si heureux que Déagéant se fût mépris à ce
point sur moi que je me levai et tout de gob l’embrassai. Étant modeste et
tenant scrupuleusement son rang, il parut surpris de ma condescendance, et
toutefois, me rendit mon embrassement, la mettant, je gage, sur le compte de ma
jeunesse, comme la vertu d’insouciance qu’il me prêtait.
    —  Sioac, dit la voix du roi, qui est avec
vous ?
    — Monsieur Déagéant, Sire.
    — Qu’il entre avec vous, et Luynes et Héroard, quand
ils seront là.
    — Oui, Sire.
    Comme à chaque fois que Louis, comme il faisait en ses
maillots et enfances, m’appelait «  Sioac  », je me sentis
frémir en ma grande amour pour lui et j’éprouvai alors quelque vergogne d’avoir
pensé à la Bastille et au billot, alors que j’eusse dû compter ma vie comme étant
de petite conséquence, comparée à celle de mon roi.
    Monsieur de Luynes arriva enfin, suivi du docteur Héroard,
lequel, ayant quelques années de plus, un peu de bedondaine, et beaucoup le
sentiment de l’importance de sa tâche, marchait quelques pas derrière lui

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