L'Enfant-Roi
poutoune ?
— Mais moi ! dit l’archevêque avec élan.
— Ce diantre de diacre, dit le duc, ne rêve que
caresses, fussent-elles incestueuses !
— Voyons, Louis, dit la princesse à l’archevêque, ne
prenez pas ma question au pied de la lettre : elle était toute de
rhétorique. D’ailleurs, j’ai ma tâche de héraut à remplir. Or sus, mon petit
cousin ! Venez là que je vous poutoune !…
J’obéis, tout en me disant en mon for que j’étais affronté
là à la plus grande coquette de la création. La princesse leva les bras avec
grâce, posa ses deux mains fines sur mes épaules et, m’attirant à elle,
effleura mes joues l’une après l’autre avec des mines taquinantes qui ne
s’adressaient pas à moi.
— Hélas ! Mon petit cousin ! Vous avez
ri ! Et maintenant, vous allez pleurer ! Car votre bonne marraine ne
pourra vous voir ce matin, ni de reste de tout le jour, pour la raison que,
s’étant au réveil envisagée au miroir, elle s’est trouvée « échevelée,
barbouillée, livide, l’œil jaunâtre, le menton écroulé, la face réduite en un
amas de rides et de ruines. Bref, laide à faire peur, un monstre devenue et
tout à fait irregardable… En conséquence (je la cite encore) de ce
délabrement », elle ne veut ni être vue, ni voir personne, ni vous, ni ses
fils, ni même la régente, se cloître en sa chambre, et ayant pris un grain
d’opium, dormira tout le jour…
Je m’étais fait une telle fête de revoir Madame de Guise et de
la revoir au bec à bec en son intimité que, de déception, à peu que j’en eusse
les larmes aux yeux, lesquelles je pris d’autant plus à cœur de refouler que
les Guise s’esbouffaient de la verve de la princesse de Conti, qui avait mimé à
la perfection la voix, le ton, et les manières extravagantes de sa mère quand
son miroir la fâchait. Ha, je la connaissais bien, moi aussi, ma bonne
marraine, en ses humeurs sauvages, elle qui, du matin au soir, déployait, pour
nier son âge, une formidable force et tout soudain, à l’occasion d’une fatigue,
le découvrant, s’écroulait, puis le jour suivant rebondissait, folâtre et drue,
comme balle au jeu de paume.
Après être demeuré là le temps qu’il fallait pour ne pas
avoir l’air de m’ensauver, je pris congé de mon hôte. À ma grande surprise, et
peut-être aussi à celle des Guise, Bassompierre s’offrit de me raccompagner
jusqu’à l’escalier : égard bien surprenant, étant donné mon âge et son
rang.
La porte de la salle close derrière nous, il me dit à voix
basse en me prenant par le bras :
— Un mot, mon beau neveu, un mot seulement ! Car
j’ai hâte, vous l’entendez bien, de retourner d’où nous venons. Je suis en
communication constante avec Madame de Lichtenberg et aussi avec la reine.
Votre affaire paraît prendre tournure. Cherchez-moi après le sacre et je vous
en dirai plus.
Je me sentis pâlir, prêt à tomber. Je me jetai dans ses bras
et sans un mot je l’étreignis, mon cœur battant à coups terribles. Bassompierre
s’émut lui-même de cet émeuvement.
— N’est-ce pas pure folie, dit-il avec un regard
mélancolique et un retour évident sur soi, d’aimer à ce point une femme, quand
elle vous est, pour l’instant du moins, inaccessible. Que de joies
espérées ! Que de tourments présents ! Et à quel prix le bonheur se
paye ! Allons, mon bon ami, c’est dit : je vous verrai après le
sacre.
*
* *
Le chevalier de La Surie dormit peu la nuit qui précéda le
sacre. Il était ivre de joie d’avoir été invité avec nous à cette mémorable
cérémonie : invitation qui lui permettait de mesurer le chemin qu’il avait
parcouru depuis le temps où, petit paysan orphelin, réduit à la famine et aux
maigres voleries par la meurtrerie de ses parents, il n’avait été sauvé de la
hart que sur les pressantes instances de mon père. Élevé avec lui et s’étant
instruit seul à son ombre, car la vivacité de ses méninges allait de pair avec
l’émerveillable agilité de ses membres, il avait gardé de cette instruction un
penchant à jouer sur les mots français (tant sans doute il avait été heureux de
les apprendre, ne parlant à l’origine que le périgourdin) et aussi, une
invincible propension à poser des questions. Ses giochi di parole [8] ,
tantôt ébaudissaient mon père et tantôt le hérissaient. Mais à ses questions,
il répondait toujours avec une patience de saint.
Nous ne
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