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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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aller jusqu’à
m’appeler comme ses frères son « petit cousin », il ne me détestait
point, me trouvant même « fort plaisant compagnon » depuis un souper
au cours duquel j’avais prêté une oreille attentive à son infini bavardage
tandis que sa propre mère bayait aux corneilles.
    Le jeune duc ne manquait pas d’esprit et il avait, en bref,
toutes les qualités qui permettent de briller à la Cour, mais aucune de celles
qui sont nécessaires à un grand dessein. Ma belle lectrice se souvient
peut-être qu’il partageait ses repas en son hôtel avec une lionne. Cette
turlupinade lui valut une petite réputation en Paris où l’on est
« gobe-mouches » à frémir, jusqu’au jour où la lionne, d’un coup de
griffe, déchira le visage d’un laquais. Le duc ne tira pas son épée.
Vaillamment il appela ses soldats, mais comme la lionne, en son désarroi,
sautait partout, il fallut je ne sais combien d’arquebusades –
c’est-à-dire autant de trous dans les tapisseries des Flandres, et de sang sur
les tapis de Turquie – pour parvenir à l’abattre.
    J’entendis bien, à l’impatient silence qui suivit l’aimable
accueil du duc, qu’il tenait le dé à mon entrant et avait hâte de reprendre son
discours. Aussi m’écartai-je un peu du trio familial et penchant la tête en
avant avec déférence, et regardant le duc, j’entrai aussitôt dans ce rôle
d’auditeur tout ouïe qui était bien la seule vertu qu’il prisât en moi.
    — Savez-vous, dit-il, l’œil pétillant, que ce bas
coquin de Conchine (le duc francisait le nom italien comme on le faisait alors
à la Cour) s’est avisé de me caresser fort, la veille de notre départ pour
Reims, alors que nous nous trouvions au coude à coude dans la chambre de la
reine ? «  Monseignoure, me dit-il d’un air de confidence,
aimez-moi et je vous ferai favoure. – Marquis, dis-je, je serais
dans le ravissement que vous me fassiez favoure. Mais, pour que je le
croie, il vous faudra me l’écrire noir sur blanc. – Voilà, dit-il avec un
sourire, qui sera fachilé. Mon marquisat d’Ancre s’est rencontré fort à
propos car, en Italie, je suis descendou des comtes de la Penna. – Comment cela ? dis-je. – La penna, dit-il, cela se dit la
plume en français. » Et de rire. « Marquis, dis-je aussitôt du tac au
tac, savez-vous qu’avec un comté de la plume et un marquisat d’Ancre, il ne
vous manque plus qu’un duché de papier pour assortir tout
l’équipage !… »
    Le giòco était pertinent et pas plus que Joinville et
l’archevêque, je n’eus à me forcer pour rire, bien que le duc gâchât un peu son
succès en ajoutant d’un air quasi étonné :
    — N’est-ce pas merveille ? Ce bon mot m’est venu
de soi ! Je l’ai fait dans le chaud du moment et quasiment sans y penser…
    — Mais, dis-je, le Conchine descend-il vraiment des
comtes de la Penna ?
    — La régente, dit Joinville, a envoyé le fils du
docteur Marescot à Florence pour fouiller la généalogie du Conchine et j’ai ouï
dire qu’il était le fils d’un secrétaire du grand duc de Toscane.
    — Pas du tout, dit l’archevêque, il est le fils d’un
menuisier.
    — Tu confonds tout, archevêque ! dit le duc. Ce
n’est pas miracle si tu n’es encore que diacre ! C’est sa femme, la
Leonora Galigaï, qui est fille de menuisier.
    — Serait-ce donc à ce menuisier, dit Joinville, qu’elle
aurait fait appel pour construire son émerveillable carrosse ?
    — Mais non, le menuisier est mort, dit le duc. Leonora
n’a pas à cacher ses parents : elle n’en a plus. J’oserais dire qu’elle
n’en a jamais eu. Elle est née de la conjonction d’un marteau et d’une
tenaille. Et pour être tout à fait sincère, il les lui faudrait peindre comme
armoiries à la porte de son carrosse sur ciel azur de clous !…
    Joinville s’esbouffa à cela, mais l’archevêque s’exclama :
    — Ha ! Monsieur mon frère ! Comme vous êtes
peu charitable !
    — Qui est peu charitable ? dit le comte de
Bassompierre en pénétrant dans la salle. Et lequel de vous, Messieurs, veut
gager avec moi que je devine à qui s’adresse ce grief ? La mise :
cinquante écus.
    — Il est trop tôt le matin pour gager, dit le duc, d’un
air rechigné, Bassompierre, bon an mal an lui gagnant au jeu cinquante mille
écus.
    — Que c’est pitié ! dit Bassompierre. J’aurais
gagné : c’était vous.
    Ces paroles furent suivies des

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