L'Enfant-Roi
mêmes furieux embrassements
qui m’avaient accueilli à mon entrant. Grand joueur, grand parieur, grand
coureur de vertugadins, mais aussi diplomate avisé, soldat habile, fort érudit,
mais le cachant, le comte, tout allemand qu’il fût, était tenu pour le parangon
des courtisans français, ayant trouvé le moyen d’être bien vu et bien venu du
feu roi et de la reine, même au plus fort de leurs plus grandes noises ;
au reste fort honnête, y compris les cartes en main, vaillant, courtois, fidèle
à ses amis et entre autres, à Madame de Lichtenberg et y ayant là quelque
mérite, car « seule en ce monde, disait-il, elle avait repoussé
ses assauts ».
— De reste, dit le duc, je l’ai promis à ma mère et à
ma femme : je ne veux plus ni jouer ni gager.
— Eh quoi ! s’écria Bassompierre, vous renonceriez
à vos vices ? Si jeune encore ? Alors même que la régente vient de
vous bailler deux cent mille livres pour acheter votre neutralité dans sa
querelle avec les Grands ? Savez-vous que vous êtes un de ceux qui ont le plus
gagné à la mort du feu roi ?…
Bien que cette réflexion me déplût excessivement, je n’en
laissai rien paraître. Voilà bien, me disais-je, le cynisme de ces gens de
cour : le nez collé sur leurs petits intérêts et le cœur indifférent aux
grands intérêts du royaume.
— Quelle erreur ! dit le duc. Joinville a gagné
plus et l’archevêque tout autant, à la mort du feu roi. Joinville se morfondait
dans l’exil auquel Henri l’avait condamné pour avoir chassé sur ses terres et
taquiné de trop près les tétons de la comtesse de Moret. Et le voici, parmi
nous, libre comme l’air. Quant à l’archevêque…
— L’archevêque sait ce qu’il a gagné, dit Louis en
rougissant.
— Nous savons tous ce qu’il a gagné, reprit le duc, sur
ce ton de mesquine taquinerie qui montrait le fond de son caractère :
Charlotte des Essarts. De peur de partager le sort de Joinville, il n’aurait
jamais osé y toucher du vivant du feu roi. Et pour tout dire, je gage qu’il la
cache maintenant quelque part dans son palais épiscopal. Peut-être dans un
confessionnal…
— Vous gagez, Charles ? dit Bassompierre, voyant
la gêne où ce propos plongeait l’archevêque et désirant détourner de lui
l’attention de ce malcommode aîné. Vous aviez dit que vous ne gageriez plus !
Mais le duc, quand il était lancé, aimait mener ses cadets
au fouet.
— Si ce fol poursuit dans cette voie, dit-il, il ne
sera jamais prêtre. Et s’il n’est pas prêtre, comment le pape pourrait-il le
nommer cardinal ? Il devra se contenter d’être diacre toute sa vie et de
manger avec sa Charlotte les bénéfices de l’archevêché. Assurément, un
archevêque, aux yeux de la dame, ne vaut pas un roi. Mais un archevêque bien
garni vaut mieux qu’un roi défunt.
Cette perfidie fut un trait de lumière pour moi. Les bénéfices !
Les bénéfices de l’archevêché de Reims qui se montaient à cent mille livres par
an ! Le petit duc, quand il s’était rallié à Henri IV, les lui avait
demandés pour lui-même, mais à la prière de ma bonne marraine, le roi les avait
donnés à son cadet. C’était là la source de tant d’aigreur.
— Monsieur mon frère, dit Joinville de sa voix
gentille, n’êtes-vous pas un peu dur pour Louis ?
— Vous avez raison, dit le petit duc en repartant à
l’assaut, j’aurais dû vous réserver mes duretés. Car des deux vous êtes de
beaucoup le plus fol. Souvenez-vous, de grâce, que je vous ai conféré le titre
de prince de Joinville par pure bonté de cœur.
— Et aussi sur la prière de notre mère, dit Joinville
qui, à sa façon simplette, ne manquait ni de jugeote ni de courage.
— Ce titre de prince de Joinville, reprit le duc, vous
permet de tailler quelque figure dans le monde. Mais rappelez-vous, je vous
prie, qu’il est de pure courtoisie, puisque le château et les terres sont à
moi.
— Votre bonté ne vous a donc rien coûté, dit Joinville.
— Et comment, dit le duc, en feignant de ne pas ouïr,
m’avez-vous récompensé ? En vous jetant dans le giron de la Moret.
Secundo, en lui signant une promesse de mariage.
— Il le fallait bien, dit Joinville naïvement. Elle ne
m’aurait pas cédé sans cela.
— Voilà bien votre courte vue ! Et maintenant, que
se passe-t-il ? Elle vous fait un procès pour avoir rompu votre promesse.
Et le résultat est clair : ou vous la
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