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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Saint-Esprit, de baiser sur les deux joues Louis, Grand Maître
de l’Ordre, je reçus derechef un billet de Madame de Guise me mandant de la
venir visiter au palais épiscopal sur le coup de dix heures : ce qui
voulait dire, à ce que j’augurais, qu’elle avait rebondi du tréfonds de sa
« laideur » jusqu’aux cimes de son automnale beauté.
    Je la trouvai sur sa couche, mais pimplochée, coiffée et
vêtue d’une très seyante robe du matin en satin bleu pâle. Et je discernai,
sous les couvertures à ses côtés, mais me tournant le dos, une compagne de lit.
    — Je me suis remise au lit, dit la duchesse, j’avais
froid. Le temps s’est mis tout soudain au gel. Or sus, mon filleul ! Ne
restez pas planté là ! Agenouillez-vous à mon chevet ! Perrette,
apporte un carreau pour les genoux du chevalier ! Et garde-toi de lui donner
le bel œil, comme tu fais toujours, ou je te renvoie à tes vaches !
    — Madame, dit Perrette d’un ton quelque peu indigné, je
n’ai jamais gardé les vaches !
    — Eh bien, tu t’y mettras, coquefredouille ! Il
faut bien un commencement à tout !
    — Qui est là ? dit d’une voix languissante la
dormeuse qui nous tournait le dos.
    — Le chevalier de Siorac.
    — Plaise à vous, ma mère, de bailler pour moi un
poutoune à mon petit cousin. Il vaut mieux, à lui seul, que mes quatre frères
ensemble.
    Même si la dormeuse n’avait pas dit « ma mère » et
n’avait pas parlé de ses frères, j’aurais reconnu la princesse de Conti à sa
voix railleuse et coquette.
    — Madame, dis-je, je suis prêt à faire le tour du lit
pour recevoir cet honneur.
    — Mon petit cousin, dit-elle, je vous ai donné deux
baisers, avant-hier. Cela suffit. Vous en prendriez l’habitude… comme ce
diantre d’archevêque qui, si je le laissais faire, me lécherait le morveau deux
ou trois fois par jour. Ce n’est pas parce que tous les hommes m’adorent que je
dois prodiguer mes faveurs.
    — Cette adoration n’aura, hélas, qu’un temps ! dit
Madame de Guise, en secouant ses boucles blondes d’un air triste et marmiteux.
    — Point si j’en juge par vous, ma mère, dit la
princesse tournant corps et visage de notre côté.
    Et quittant son ton de moqueuse gausserie, elle effleura du
dos de la main le visage de sa mère et reprit avec chaleur :
    — Plus d’un gentilhomme à la Cour aimerait se mirer
dans ces beaux yeux bleus, si vous n’étiez si éprise de qui vous savez.
    — Ah ! dit Madame de Guise avec un grand soupir,
ma fille ! Ma fille ! Quand tout est dit, comme j’aimerais être
vous !
    Comme je la voyais prête à sombrer derechef dans une de ses
noires humeurs, je m’en émus assez pour tâcher d’en endiguer le flot.
    — Bien que la princesse soit parfaitement belle,
dis-je, je perdrais beaucoup à ce que votre vœu soit exaucé, Madame : je
n’aurais plus de marraine. Et quel vide cela ferait dans ma vie !
    Et lui saisissant la main, je la couvris de baisers.
    — Vous avez raison, ma fille, dit Madame de Guise d’une
voix émue, celui-là vaut tous les autres mis à tas ! Mon Dieu ! Quand
j’y pense ! Cet archevêque ! Placer cette Charlotte dans la galerie
du chœur ! Le jour du sacre ! Cachée derrière une colonne comme
derrière son petit doigt ! Si encore elle n’était pas si commune !
    — Mais d’après ce que j’ai ouï, dit la princesse qui
voulait se donner les gants de l’impartialité, Madame des Essarts est bien née.
    — Babillebahou, ma fille, c’est bel et bon d’être née. Mais,
pour une femme, il y faut, au surplus, des grâces ! Cette pimpésouée n’a
aucune allure ! C’est la gaucherie même ! Elle marche avec les pieds
en dedans. Qui pis est, elle a des tétins, mais elle n’a pas de cul.
    — Ma mère, dit la princesse en riant, comment le
savez-vous ?
    — Elle a beau le rembourrer avec un haussée, cela se
voit ! Tenez ! Prenez Perrette que voilà : décrottez-la un peu
de ses vaches…
    — Mais, Madame, je n’ai jamais gardé les vaches !
dit Perrette désespérément.
    — Paix-là, sotte caillette ! Mettez à Perrette les
beaux affiquets de Madame des Essarts, elle y sera cent fois plus à l’aise et
mille fois plus plaisante à voir.
    — La grand merci, Madame, dit Perrette, tout soudain
rassérénée. Toutefois, si j’ose dire ce que je m’apense, je n’aimerais pas
coqueliquer avec Monsieur l’archevêque, de peur que ma conscience me

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