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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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sainteté : ce
qui lui donne une raison de plus – outre celle que vous savez, ajouta-t-il
avec un sourire – de revenir vivre en Paris en son hôtel de la rue des
Bourbons. « N’épargnez, m’a-t-elle écrit, ni le temps ni l’argent. »
Pour des raisons que je ne dirai pas, mon beau neveu, je ne veux point paraître
en cette affaire. Aussi ai-je décidé d’employer le crédit que j’ai auprès du
marquis d’Ancre, lequel j’ai fort bien connu à Florence en un temps où il
menait une vie dissolue – savez-vous qu’à l’époque on l’appelait
Isabelle ? – semant à tous vents l’argent qu’il ne possédait pas et
vivant fastueusement de ses dettes. Il me sait quelque gré d’avoir alors si
obligeamment oublié les quelques pécunes que je lui ai prêtées. Et sur ma
demande, il approcha la reine, laquelle voulut bien l’écouter et lui dit :
« Voyez la marquise et accordez cela avec elle. »
    — Eh quoi ! dis-je, la marquise d’Ancre va décider
à la place de la régente !
    — Assurément, moyennant les épingles.
    Pour désigner les épingles, Bassompierre employa le mot
allemand Nadel, que je connaissais, mais que sur le moment je ne
reconnus pas, tant il me parut hors contexte. Je lui en demandai la traduction,
qu’il me donna.
    — Les épingles, dis-je, qu’est cela ? Qu’est-ce
que les épingles viennent faire là-dedans ?
    — Les épingles sont aux femmes ce que les pots-de-vin
sont aux hommes.
    — Quoi, dis-je, devrais-je verser des pécunes à la
marquise pour que la régente autorise le retour en France de notre amie ?
Mais c’est monstrueux !
    — Mon beau neveu, dit Bassompierre, je suis
allemand : je n’ai donc pas à juger la façon dont les choses se passent de
présent en France. N’oubliez pas, de grâce, qu’en ce pays, je ne suis, et ne
veux être, et ne peux être que « le paroissier de qui est le curé ».
    Il rit en prononçant ce mot, se rappelant sans doute qu’au
bal de la duchesse de Guise [12] , je lui avais fait observer qu’il
fallait dire « paroissien » et non « paroissier ».
    — Et où iront ces pécunes ? demandai-je, béant.
    — Mais dans les coffres de la marquise, lesquels sont
sans fond, comme sa probité. Peux-je ajouter que, ne voulant pas, comme j’ai
dit, paraître dans cette affaire, je vous laisserai le soin d’aller trouver la
marquise en son antre.
    — Moi, j’irai la trouver ?
    — Vous ! dit-il en riant. Tout jeune et beau que
vous soyez, la marquise ne se jettera pas sur vous. La clicaille est sa seule
amour…
    Toujours riant, il marcha vers la porte, la déverrouilla en
un battement de cil et jeta un œil au-dehors.
    — J’ai calomnié en mon cœur notre clignante girafe,
dit-il après avoir reclos. Elle a pris l’amble pour d’autres lieux. Adonc,
reprit-il avec vivacité, ce sera à vous de conduire le bargouin avec cette
dame. Vous lui proposerez, de prime, cinq mille livres.
    — Cinq mille livres !
    — Que je vous donnerai au nom de Madame de Lichtenberg
qui me remboursera. Et pensez bien que cette somme n’étonnera pas le moins du
monde la marquise ! Vu qu’en toute probabilité, elle fera alors une petite
moue et vous dira de sa voix nasale : «  E derisorio, Signor [13] .  » Vous lui proposerez
alors dix mille livres.
    — Dix mille livres ! Et que ferai-je, si elle
n’accepte point ?
    — Vous prenez congé d’elle avec grâce en lui disant que
vous allez réfléchir, et moi j’écrirai à notre amie pour lui demander si je
peux, en son nom, hausser la mise.
    — Et à supposer que la marquise accepte les dix mille
livres, qui nous assure qu’elle tiendra parole ?
    — La marquise d’Ancre perdrait tout crédit, si elle ne
respectait pas ses promesses. Et pourquoi ruinerait-elle de ses propres mains
un commerce aussi fructueux ? Même dans la malhonnêteté, mon beau filleul,
il faut une part d’honnêteté.
    Bassompierre parut fort heureux d’avoir trouvé le mot de la
fin.
    — Partez le premier, mon beau neveu, dit-il, il n’est
pas utile qu’on nous voie ensemble en ces lieux.
    Là-dessus, il me donna une forte brassée et je partis avec
des sentiments mêlés où l’ardent espoir de revoir Madame de Lichtenberg était
assombri par l’aspect déplaisant, et à mon sentiment quasi honteux, du
marchandage dont son retour allait être l’objet. Pour Bassompierre, joueur
heureux, ce n’était là qu’un jeu de plus, dont il s’amusait

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