L'Enfant-Roi
mer ?
— Oui, Sire.
— Gardez-vous bien !
— Oui, Sire.
— Soyez le plus fort quand vous irez au combat !
— Oui, Sire.
— Écrivez-moi souvent !
— Oui, Sire.
Les deux enfants se tenaient les mains et pleuraient de
concert. Ils ne se quittaient pas des yeux, le visage tout chaffourré de larmes
et échangeaient, qui ces questions, qui ces réponses d’une voix faible et
languissante. Tout soudain le roi ôta la montre-horloge qui pendait à son cou
et la passa autour du cou de Vendôme.
— Zagaye, lui dit-il, elle est à vous, gardez-la bien
et chaque fois que vous regarderez l’heure, pensez à moi qui tant vous aime.
À la parfin, on vint chercher le chevalier pour le mettre en
carrosse. Les sanglots des deux parts redoublèrent. Ils s’étreignirent. On dut les
arracher l’un à l’autre et le petit roi resta seul, désemparé, errant dans la
pièce, pleurant toujours, la bouche contractée en rectangle comme j’ai dit
déjà ; puis allant et venant dans la chambre, d’un pas hésitant, sans
regarder personne, il parut tirer du côté où Héroard et moi nous nous trouvions
et sans lever la tête ni nous regarder ni nous parler – tant sans doute
était grande sa crainte, en s’adressant à nous, de nous compromettre et
peut-être de nous perdre nous aussi – il dit d’une voix basse, à peine
audible et qui me serra le cœur tant elle me parut désolée :
— On me le veut ôter, parce que je l’aime.
Bien des années après que Louis l’eut prononcée, cette
phrase terrible résonne encore en ma remembrance comme la remarque la plus
amère qu’un fils eût pu faire sur celle qui lui avait donné le jour. Et encore
Louis la voilait-il par cet « on » transparent – prudence ou
pudeur, qui le dira ? De toute façon sur le fond il ne se trompait guère,
étant un enfant mal aimé qui, en raison de l’extrême attention qu’il portait à
son malheur, percevait avec une précoce finesse les sentiments qu’on
nourrissait pour lui.
Ce n’est point que la régente eût voulu, par malignité pure
et à force forcée, lui ravir une des joies de sa vie, mais elle craignait que
cette grandissime affection pour Vendôme ne développât sur lui une influence
qui, à la longue, eût pu devenir dangereuse pour son pouvoir. Elle y portait
donc aussitôt le couteau, tranquillement insensible à la souffrance qu’elle
provoquait et voulant son fils sans ami, sans allié et sans armes devant elle.
Quant à l’autre enfant que sa prudence exilait « au bout du monde »
dans un milieu d’une excessive rudesse, elle n’en avait cure, transférant sur
lui d’un cœur léger les péchés du père et de la putana qu’il avait
aimée.
*
* *
— Monsieur, je ne laisse pas de me poser sur vous
quelques petites questions.
— Sur moi, bellissima lettrice ?
— Vous voilà, n’est-il pas vrai, le premier
gentilhomme de la Chambre de la Maison du roi ?
— Nenni, Madame, je ne suis pas le premier
gentilhomme de la Chambre. Il y a quatre premiers gentilshommes de la Chambre.
Je ne suis qu’un des quatre, le plus connu et le plus influent à la Cour étant
le marquis d’Ancre.
— J’entends bien, mais que faites-vous ès
qualité ? Habillez-vous le roi ?
— Non, Madame, l’habiller, c’est la tâche de ses valets
de chambre. Monsieur d’Auzeray, Monsieur de Berlinghen…
— Sont-ils nobles ?
— Certes ! C’est un grand honneur que de vêtir le
roi !
— Je croyais qu’il n’y avait que les huguenots qui
disaient « certes ».
— C’est sans conséquence pour moi, Madame, étant né
catholique.
— Donc, vous n’habillez pas le roi ?
— Non, Madame.
— Que faites-vous donc auprès de lui ?
— Je suis là.
— Comment cela, vous êtes là ? Ne faites-vous pas
autre chose ? Êtes-vous donc une sorte de meuble, Monsieur, pour ne faire
que d’être là ?
— Madame, de grâce, rentrez vos petites griffes !
Être là, cela veut dire servir le roi. Et le servir, cela veut dire attendre
ses commandements.
— Par exemple ?
— Si Louis me demande ce qu’est Malte en donnant à sa
question un caractère confidentiel, je lui dis tout ce que j’en sais. Après
quoi, je garde le silence sur la question qu’il m’a posée.
— Et d’aucuns dans son entourage pourraient chanter un
autre air ?
— D’aucuns, Madame, chantent un autre air dont le
refrain paraît être de ne donner à Louis qu’une
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