L'Enfant-Roi
moment, le garcelet, sans doute parce qu’il faillait à
reprendre son souffle, releva le visage qu’il tenait jusque-là posé sur l’épaule
du roi. Je vis alors qu’il le dépassait en taille d’une demi-tête, et je le
reconnus pour son demi-frère : le chevalier de Vendôme.
Le chevalier qui avait alors treize ans – trois ans de
plus que Louis – était la fleur et le fruit des amours d’Henri IV et
de la belle Gabrielle. Légitimé par son père, déclaré fils de France, il ne
faisait pas mentir le dicton qui veut que les enfants de l’amour aient
davantage que les autres à se glorifier dans la chair. En outre, il attirait
tous les cœurs par l’extrême gentillesse de sa disposition. Tant est que le
petit roi s’était pris pour ce demi-frère si aimable d’une extraordinaire
amitié à laquelle le chevalier avait aussitôt ardemment répondu.
Or, quarante-huit heures avant cette scène déchirante dont
j’étais le témoin, j’avais ouï par La Barge, grand rapporteur des bruits dont
le Louvre bruissait, que le chevalier de Vendôme, déclaré majeur comme c’était
la coutume pour ses treize ans, allait être sans tant languir expédié à Malte.
Et la veille même de ce dimanche, Louis, profitant d’un instant où nous étions
seuls dans le cabinet aux armes, m’avait demandé où était Malte, preuve qu’il
avait eu vent de ce projet, mais sans en être encore bien assuré.
J’avais alors expliqué à Sa Majesté qu’il s’agissait d’une
île au sud de la Sicile où s’était établi l’ordre fameux, mi-guerrier
mi-religieux, qui s’était donné la mission de verrouiller contre les infidèles
le détroit entre la Sicile et la Tunisie. L’île se trouvait bien garnie en
forts, en canons et en vaisseaux, et les chevaliers de Malte, qui menaient pour
la plupart du temps en mer une vie périlleuse, refoulaient sans cesse à
grand-peine et à grandes pertes souvent, les incursions des Tartares et des
Turcs, les empêchant d’aborder aux côtes des pays chrétiens.
— En bref, Sire, les chevaliers de Malte tâchent
d’interdire aux infidèles l’accès de la partie occidentale de la mer
Méditerranée.
— Et combien de temps, dit Louis, bégayant plus que de
coutume, faut-il, partant de Paris, pour gagner Malte ?
— Je dirais deux bons mois et demi, Sire, sinon plus.
— Mais c’est le bout du monde ! dit Louis, le
visage soucieux.
La hache entre-temps était donc tombée, taillant dans le
vif, séparant à jamais les amis inséparables. Il était habituel assurément
d’établir un enfant de France à sa majorité, mais l’établir si loin des
aménités et des commodités de la Cour et du Louvre, dans un ordre religieux
austère dont il ne pourrait pas plus sortir qu’une fille hors d’un couvent,
soumis en outre à la rude discipline et aux dangers d’une vie combattante,
c’était vraiment choisir pour lui l’exil le plus âpre et le plus perpétuel,
sinon peut-être la mort, auquel l’Ordre de Malte payait un si constant tribut.
— Ah ! Sire ! Sire ! criait Vendôme,
tandis que le roi en pleurs le serrait dans ses bras à l’étouffer, ayez pitié
de moi ! La reine me veut ôter d’auprès de Votre Majesté ! Mais
comment vivrai-je à Malte si loin de vous ?
— Qu’avez-vous donc fait à la reine ma mère ? dit
Louis à travers ses pleurs.
— Mais rien, Sire, rien ! dit Vendôme d’une voix
vibrante.
Il n’y avait pas parmi les présents une seule personne qui
eût pu récuser cette affirmation d’innocence, tant le monde entier connaissait
le bon naturel du chevalier de Vendôme et la facilité de son caractère. Aussi
bien le roi n’avait posé la question que par acquit de conscience. Il savait
bien qu’aucune faute n’aurait pu justifier la dureté d’un tel exil. Mais d’un
autre côté, connaissant l’invincible opiniâtreté de sa mère et le peu
d’affection qu’elle portait à ses enfants et moins encore à lui-même, le
considérant non point tant comme son fils que comme un rival qui un jour lui
arracherait ce pouvoir qu’elle aimait tant et qu’elle exerçait si mal, il
savait bien qu’il se pourrait jeter à ses pieds, pleurer, la supplier des heures
durant sans que sa résolution branlât d’un pouce.
— Zagaye, reprit le roi (c’était le surnom d’amitié
qu’il donnait à Vendôme et dont personne ne connaissait l’origine), quand vous
serez à Malte, irez-vous toujours sur
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