L'Enfant-Roi
connaissance très incomplète
des affaires qui le concernent et de rapporter aussitôt à la régente les
questions qu’il en a faites.
— Et quelles sont ces personnes-là ?
— Je ne connais pas encore les félons. Je ne connais
que les fidèles.
— Et ceux-là qui sont-ils ?
— Héroard, Praslin, Vitry, Berlinghen.
— Berlinghen ? Le valet de
chambre ? Est-il si important ?
— Tous ceux qui approchent le roi sont importants,
Madame, y compris la nourrice Doundoun.
— Est-elle sûre ?
— Je me le demande. J’ai remarqué qu’Héroard se méfiait
d’elle.
— Ah ! Parce que vous observez aussi
Héroard !
— Madame, dans les appartements du roi, chacun, sans
relâche, épie l’autre.
— Et pourquoi donc ?
— Il s’en faut que tous ceux qui sont là aient les
mêmes sentiments à l’égard du roi, de la régente et des marquis d’Ancre.
— Les marquis d’Ancre ?
— Concini et sa femme, c’est ainsi que le peuple les
appelle. Mon père les appelle parfois le Conchine et la Conchinasse.
— Comment s’accommode le petit roi d’être la cible de
tous les yeux et de toutes les oreilles ?
— Mais l’observé est aussi observateur et dans
l’observation il montre une sagacité bien au-dessus de son âge.
— Qu’en est-il de ses études ?
— Ah ! C’est là le point faible !
— Comment cela ? Ne venez-vous pas de me dire que
Louis ne manque pas d’esprit ?
— La faute, Madame, n’en est pas tant à l’enseigné qu’à
l’enseignant. D’Yveteaux – le premier précepteur nommé par le feu
roi – était un mauvais choix. Il enseignait mal un latin qu’il savait peu.
En outre, il manquait de conscience. Il s’absentait souvent et ne se faisait
pas remplacer. Quant aux précepteurs nommés après son départ par la reine, ils
sont vieils et mal allants.
— Ne m’avez-vous pas dit que le marquis d’Ancre était
aussi un des premiers gentilshommes de la Chambre ?
— Oui, Madame.
— Il est donc là souvent.
— Tout le rebours. Il n’apparaît qu’assez peu dans les
appartements du roi. Et quand il vient, le roi étant pudique à l’extrême, il le
heurte fort par son impudicité.
— Comment cela ?
— Eh bien, l’autre soir, alors que Louis s’apprêtait à
se mettre au lit, voilà-t-il pas que le marquis d’Ancre s’avise de mettre la
main sur le tétin de la nourrice et de dire : « Sire, il faut que les
femmes qui sont à votre coucher couchent avec Monsieur d’Aiguillon qui est
votre chambellan et couchent avec moi qui suis le premier gentilhomme de la
Chambre. »
— Quel peu ragoûtant personnage ! Que fit le petit
roi ?
— Il regarda le marquis d’Ancre avec colère, lui tourna
le dos et dit entre ses dents : « Ah ! Les
vilaines ! » Remarquez que même en son ire, il resta maître de lui,
car au lieu de dire : « Ah ! Le vilain ! » il dit
« Ah ! Les vilaines ! » comme s’il attribuait aux
chambrières la salacité de Concini.
— En effet, il semble qu’il y ait là quelque finesse.
Il ménage le marquis.
— Lequel, Madame, ne le ménage guère, le traitant avec
la dernière désinvolture et le prenant à part soi pour un idiot.
— N’est-ce pas pure folie de la part de cet
outrecuidant ?
— La suite le dira.
— Si j’entends bien votre récit, Monsieur, vous êtes en
passe de devenir le favori du roi.
— Non, Madame, je suis un des amis du roi, je ne suis
pas son favori. Son favori, c’est Luynes.
— Qui est Luynes ?
— Son oiseleur.
— Et qu’en est-il de ce personnage ?
— Pardonnez-moi, Madame, je n’en suis pas encore là.
Pour l’instant, il me faut mettre un terme à notre bec à bec et prendre congé
de vous, si charmante que vous soyez.
— Encore un petit coup de truelle !
— Encore un petit coup de griffe ! Madame,
parlez-moi à cœur ouvert : Aimez-vous mon petit roi ?
— Je suis de lui tout à plein raffolée. J’eusse tant
voulu le prendre dans mes bras pour le consoler de son gros chagrin !
— Hélas ! Ce gros chagrin, belle lectrice, ne sera
pas le seul en cette année 1611.
*
* *
Quant à moi, je vécus plusieurs mois dans l’insufférable
anxiété de l’attente, laquelle ne fut guère assuagée quand Bassompierre revint
d’Heidelberg, portant des nouvelles qui n’étaient ni franchement bonnes ni tout
à plein mauvaises.
— Ah ! Mon beau neveu ! dit-il en me jetant
le
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