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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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montre-horloge en main, il y employa
moitié moins de temps que je n’en avais mis. Je me gardai bien toutefois de lui
faire observer que sa « grosse Vitry » – objet de tous ses soins
et de ceux de Descluseaux – avait peut-être moins besoin d’être nettoyée
que les arquebuses du Champ Fleuri. Louis triompha donc, mais avec gentillesse,
allant même jusqu’à me consoler de ma défaite, arguant que j’avais moins de
pratique que lui à cet ouvrage.
    Tandis qu’il faisait cette remarque généreuse, il essuyait
ses mains tachées de graisse avec un chiffon et quand il se fut tu, il me
sembla qu’il mettait plus de temps à ce nettoiement qu’il n’eût fallu, gardant
les yeux baissés et l’air à la fois vergogné et hésitant, comme s’il balançait
à poursuivre l’entretien. Tant est qu’à la fin, je me décidai à lui dire, sur
le ton de la plaisanterie, que si Sa Majesté me permettait de gager avec Elle
une deuxième fois, je gagerais quelle avait quelque question à me poser…
    — Et cette fois vous auriez gagné, Sioac ! dit-il
en ne prononçant par l’« r » de mon nom, comme il faisait en ses
enfances, et comme il faisait encore quand nous étions seuls, pour me témoigner
son affection.
    Il me considéra alors de ses grands yeux noirs qui étaient
bien ce qu’il y avait de plus beau dans son visage, lequel tenait de son père
un nez bourbonien et de sa mère une longue mâchoire qui s’était arrêtée juste
en deçà de la galoche.
    —  Sioac, reprit-il, est-il vrai qu’on me veut
marier ?
    — Oui, Sire, cela est vrai.
    — Eh quoi ! dit-il d’une voix tremblante, à dix
ans ? Et avec qui ?
    — Avec une infante espagnole, Sire.
    Une expression de frayeur et de dégoût apparut alors dans
ses yeux noirs. Dans le silence qui suivit, je me demandai si cette vive
émotion lui était venue de la peur des filles dont il avait déjà donné maintes
preuves, ou de l’idée d’épouser une infante, alors qu’en tant d’occasions il
avait laissé paraître une remarquable fidélité aux sentiments anti-espagnols de
son père. Je m’apensai plus tard qu’il n’était pas nécessaire d’envisager cette
alternative : il était plus que probable que les deux raisons se
conjuguaient.
    — De qui le tenez-vous ? dit-il en se recomposant.
    — De Madame de Guise.
    Il fit « oui » de la tête comme pour opiner que la
source, en effet, était sûre et je poursuivis :
    — L’affaire a fait l’objet d’une longue négociation,
Sire, la reine votre mère désirant pour vous l’aînée des infantes et l’Espagne
ne voulant vous bailler que la cadette.
    — Quelle insolence ! dit Louis entre ses dents.
    Il reprit :
    — Et depuis quand négocie-t-on ?
    — La négociation a commencé dès la mort du roi votre
père.
    — Mon père avait, en effet, d’autres projets pour moi…
    Il dit cela avec une amertume et une tristesse qui me
serrèrent le cœur. En même temps, je ne laissais pas d’être étonné qu’il eût
appris ce qu’il en était des intentions du défunt roi. Car peu de gens savaient
à la Cour que quelques semaines avant d’être assassiné, Henri IV avait
employé Bassompierre dans une négociation secrète dont le but était de mander
au duc régnant de Lorraine la main de sa fille pour Louis.
    Louis reprit après un moment :
    — Et pour l’heure, Sioac, où en est-on ?
    — L’Espagne a enfin consenti à donner l’aînée et Madame
de Guise m’en a parlé comme d’une affaire conclue.
    Louis, les yeux baissés, demeura un instant sans bouger ni
piper. Puis, se redressant, il ouvrit les yeux, haussa le bec et dit d’un ton
de décision :
    — Il n’y a donc pas remède.
    Puis, me posant la main sur l’avant-bras, il me dit à
mi-voix :
    —  Sioac, ne vous offensez pas si de trois à
quatre jours, je ne m’aperçois point de votre présence chez moi. Vous en savez
bien la raison.
    J’allais lui répliquer, quand on frappa à la porte du
cabinet aux armes et une voix pompeuse s’éleva derrière l’épais panneau de
chêne :
    — Sire, c’est votre grand chambellan !
    — Entrez, Monsieur d’Aiguillon, dit Louis qui, reprenant
le chiffon, fit mine de s’en essuyer les mains derechef.
    La bedondaine imposante du grand chambellan pénétra la
première dans le cabinet, suivie des vastes doubles mentons sur lesquels
reposaient les bajoues de sa noble tête.
    — Sire, dit-il en s’inclinant avec plus de

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