L'énigme de l'exode
capable.
— Oui, confirma Gaëlle.
— J’ai téléphoné à Fatima pendant que nous étions dans le train. Elle m’a dit que vous viendriez nous chercher. Merci de nous être venue en aide tout à l’heure. J’ai bien cru qu’on ne s’en sortirait pas.
— Ce n’est rien.
— Au fait, je m’appelle Lily. Lily Auster. Et bien sûr, vous avez reconnu le célèbre Charles Stafford.
— Bien sûr. Ravie de faire votre connaissance.
— Quelle bande de cinglés ! marmonna Stafford. Qu’est-ce qui leur a pris ?
— Le climat est très tendu ici, en ce moment, expliqua Gaëlle. Deux jeunes Égyptiennes ont été violées et assassinées. Elles étaient coptes, toutes les deux, c’est-à-dire chrétiennes.
— Je sais ce que signifie copte, merci, siffla Stafford.
— Les pauvres, dit Lily en levant instinctivement les yeux vers le rétroviseur pour regarder sa joue.
Le traitement au laser avait été à la hauteur des promesses du prospectus. Sa tache de vin s’était transformée en une zone d’un léger brun rosé, que presque plus personne ne remarquait. Mais elle avait fait une découverte cruelle concernant le défigurement : lorsque vous en aviez souffert pendant longtemps, il faisait partie de vous pour toujours. Et quelle que soit l’image que lui renvoyait le miroir, Lily se sentait toujours laide.
— Mais quel rapport avec leur religion ? demanda-t-elle.
— La dernière fois qu’un meurtre a été commis, la police s’en est prise à des centaines de coptes. Cet incident a causé de graves frictions avec l’Occident, qui y a vu une affaire de discrimination religieuse de la part des musulmans à l’encontre des chrétiens. Mais ce n’était pas le cas. C’est comme ça que les policiers enquêtent ici. Ils tombent à bras raccourcis sur les premières personnes qu’ils voient et les frappent jusqu’à ce qu’elles parlent. Cette fois, au lieu de s’en prendre aux coptes, ils ont eu une excuse toute trouvée pour s’attaquer aux fauteurs de trouble musulmans, dont les amis et la famille ont rejeté la faute sur les Occidentaux. Il y a une grande manifestation en ville cet après-midi.
— Charmant, fit Stafford, qui n’écoutait déjà plus Gaëlle.
Il se tourna vers Lily.
— Qu’y avait-il dans les bagages que nous avons perdus ?
— Juste des vêtements, je crois, répondit Lily. J’ai réussi à sauver le matériel.
— Mes vêtements, je suppose.
— Nos vêtements.
— Et qu’est-ce que je vais porter devant la caméra ?
— Nous vous trouverons quelque chose. Ne vous inquiétez pas.
Depuis quelques jours, le sourire de Lily était devenu crispé. Travailler avec Stafford n’était pas de tout repos, surtout lorsque les autres quittaient le navire, comme l’avaient fait les collègues de Lily. La veille, pendant le dîner, il avait péroré sur son récent séjour à Delphes. « Gnôthi Seauton », avait recommandé l’oracle. « Connais-toi toi-même. » Stafford s’était adossé à sa chaise en déclarant qu’il voyait dans cet adage le secret d’une vie épanouie. En étouffant un petit rire ironique, Lily avait projeté de fines gouttes de vin blanc sur la nappe. Elle n’avait encore jamais rencontré un homme aussi peu lucide. Et pourtant, contre toute attente, il était à la fois renommé et heureux. Heureux d’être narcissique et d’avoir une foi inébranlable dans sa propre beauté et sa propre finesse. Et par-dessus tout, heureux d’être admiré ! Parce que Stafford était très admiré de son public. Les gens n’étaient pas difficiles. Un rien leur suffisait... Lily se pencha de nouveau vers Gaëlle.
— Fatima m’a dit que vous alliez venir avec nous demain. C’est très gentil à vous.
— Demain ? s’étonna Gaëlle. Je ne suis pas au courant.
— Elle ne vous en a pas parlé ?
— Non, pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe demain ?
— On réalise un documentaire à Amarna. Et notre guide a disparu de la circulation.
— Bon débarras, grommela Stafford. Il était complètement caractériel.
— C’est pour ça que nous avons dû prendre le train, expliqua Lily. Fatima nous avait dit qu’elle nous accompagnerait, mais apparemment, elle va avoir un empêchement. Alors nous sommes vraiment coincés. Ce n’est pas que nous tenions absolument à avoir un expert avec nous, même si ce serait l’idéal, mais nous ne parlons ni l’un ni l’autre l’arabe. Bien sûr, nos papiers sont en règle et nous n’avons pas de
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