L'énigme de l'exode

et de son hérésie. D’ailleurs, à l’origine, Toutankhamon s’appelait Toutankhaton. Il a été contraint de changer de nom après la mort d’Akhénaton. Les noms avaient beaucoup d’importance à l’époque. Les anciens Égyptiens croyaient que le simple fait de dire le nom d’une personne permettait à celle-ci de survivre dans l’au-delà. C’est une des raisons pour lesquelles le nom d’Akhénaton a été délibérément effacé dans les temples et les monuments de tout le territoire. Mais ses talatates n’ont pas subi le même sort car, lorsque ses édifices ont été démolis, ils ont été réutilisés pour construire les fondations d’autres bâtiments. Aussi, à chaque fois que l’on fait des fouilles dans un site de l’ère post-amarnienne, on a une chance d’en retrouver.
    — Et de reconstituer les scènes qui figuraient sur les murs des monuments d’Akhénaton ?
    — En effet, mais ce n’est pas facile. C’est comme si on achetait cent puzzles, qu’on mélangeait toutes les pièces, qu’on en détruisait quatre-vingt-dix pour cent et qu’on écrabouillait le reste à l’aide d’un marteau. Mais c’est mon rôle de trouver un sens à tout ça. C’est pour cette raison que Fatima m’a fait venir ici. En général, je travaille sur des textes anciens, mais le principe est le même.
    — Comment procédez-vous ?
    — C’est plus facile à comprendre lorsqu’il s’agit de manuscrits. Imaginez que l’on trouve des milliers de fragments de différents documents, tous mélangés les uns aux autres. La première tâche consiste à les photographier un par un en très haute résolution. On ne peut pas travailler à partir des fragments originaux, qui sont bien trop fragiles. Ensuite, on les examine attentivement, un par un, afin de voir s’ils sont en papyrus ou en parchemin. S’il s’agit de papyrus, on détermine le tissage et, s’il s’agit de parchemin, on en établit la provenance. Il est aujourd’hui possible de faire des tests ADN afin de déterminer si différents fragments de parchemin proviennent du même animal. On observe aussi la couleur, l’aspect, l’épaisseur, le verso du fragment. On étudie l’encre. A-t-elle bavé ou coulé ? Peut-on en analyser la signature chimique ? La plume était-elle fine ou épaisse ? Rugueuse ou lisse ? On analyse ensuite l’écriture. Celle-ci a toujours des caractéristiques propres. Cela dit, il faut être prudent, car d’une part, les scribes travaillaient souvent sur plusieurs documents, et d’autre part, certains documents ont été écrits par plusieurs scribes. Au bout du compte, toutes ces étapes permettent de répartir les fragments en différentes catégories correspondant à des manuscrits distincts, comme si l’on faisait plusieurs tas de pièces correspondant à différents puzzles. Ensuite, on tente de reconstituer chaque manuscrit.
    — Comment ?
    — Souvent, on connaît déjà les textes. Il peut s’agir du Livre des Morts, par exemple. Dans ce cas, il suffit de traduire le fragment et de chercher où il se situe dans l’ensemble. Mais s’il s’agit d’un document original, comme une lettre, il faut trouver d’autres indices. Peut-être y a-t-il une ligne de texte qui court d’un fragment à un autre. Ou, quand on a vraiment de la chance, plusieurs lignes qui correspondent, ce qui permet de trancher de manière définitive. Cela dit, en général, on rassemble les fragments par thèmes. On peut en avoir plusieurs qui traitent des pratiques funéraires, par exemple. Ou plusieurs anecdotes concernant une même personne. À défaut, on utilise le fait que les fragments sont, par définition, endommagés. En effet, il peut y avoir un type d’endommagement particulier. Imaginez qu’on enroule une feuille de papier, qu’on fasse un trou à travers toutes les couches avec une cigarette, et qu’on déchire le papier. Non seulement les trous permettront de reconstituer le rouleau, mais la distance décroissante qui les sépare indiquera également à quel point celui-ci était serré. Par ailleurs, les scribes traçaient des lignes en rayant le parchemin, de manière à écrire droit. On peut donc également comparer les rayures et leur espacement, comme s’il s’agissait des anneaux de croissance d’un d’arbre.
    — Et les talatates peuvent présenter des caractéristiques similaires ?
    — Oui, bien que celles-ci soient plus difficiles à repérer. Par exemple, les talatates sont soit en calcaire,