L'énigme de l'exode
étaient utilisés par...
— Ça alors ! l’interrompit Lily. Je peux filmer, j’espère ?
— Bien sûr, s’il y a suffisamment de lumière.
— Ce petit bijou est une pure merveille ! s’écria Lily en tapotant sur sa Sony VX2000. Le rendu sera parfait.
Elle avait fini par adorer les caméras. Mais cela n’avait pas toujours été le cas. Enfant, lorsqu’elle y avait été confrontée pour la première fois, aux fêtes d’anniversaire ou à l’école, elle les avait fuies et détestées. Il était pénible de voir les autres enfants observer sa tache de naissance, mais au moins, en sa présence, ils ne s’autorisaient pas de paroles trop cruelles. La caméra, en revanche, leur permettait d’emporter sa laideur avec eux, de la scruter à l’envi, de se moquer d’elle et de l’insulter impunément sans qu’elle soit là pour se défendre.
Pour son malheur, Lily possédait une imagination débordante. Parfois, lorsqu’elle pensait à ce que les autres enfants disaient d’elle, elle était si tourmentée que, pour trouver le repos, elle imaginait l’instant de sa mort, la douceur de la délivrance. Elle s’était mise à se faire du mal, à se donner des claques, à s’enfoncer des ciseaux dans le bras. Puis un jour, presque sans y penser, son oncle lui avait fait cadeau de son vieux caméscope. Elle frissonnait encore à la simple évocation de ce souvenir. Non seulement le viseur, placé contre son œil, dissimulait sa tache de vin, mais ce cadeau lui avait donné un pouvoir qui avait transformé sa vie : celui de rendre à sa guise les autres beaux ou laids, de leur donner l’air charmant, maussade, disgracieux ou enjôleur. Et elle avait elle-même bénéficié de ce pouvoir. Elle s’était découvert un véritable talent. La caméra lui avait donné une identité, de l’amour-propre. Et surtout, un but dans la vie.
Lily sortit son matériel, effectua les raccordements et mit ses écouteurs. Elle fit des essais de son et de lumière, puis hissa la caméra sur son épaule et la braqua sur Gaëlle.
— Vous disiez ? demanda-t-elle.
— Oh ! s’exclama Gaëlle, prise au dépourvu. Je pensais que vous alliez filmer les talatates, pas moi.
— Les deux, annonça Lily, habituée à gérer le trac des personnes qu’elle filmait. Mais ne vous inquiétez pas, Charles a déjà son script. Il est très improbable qu’il effectue des modifications au dernier moment, croyez-moi. Et il faudra que vous me signiez une autorisation de toute façon. Alors si ça ne vous plaît pas...
— Bon, très bien.
— Merci. Alors, accroupissez-vous. Voilà. Redressez-vous et regardez-moi. Non, pas comme ça. Levez le menton. Encore un peu. Voilà, parfait ! Maintenant, posez la main droite sur les talatates.
— Vous êtes sûre ? Ce n’est pas très naturel.
— Mais l’image est belle. Faites-moi confiance, je sais ce que je fais. Allez, on recommence depuis le début. Faites comme si je ne savais absolument rien, ce qui, je dois l’avouer, n’est pas loin de la vérité. Bon, alors, où sommes-nous ? Et ces talatates, de quoi s’agit-il exactement ?
III
Les feux de stop du pick-up s’allumèrent, puis disparurent derrière une colline. Knox garda les yeux rivés sur l’horizon et ralentit sa course pour reprendre son souffle. Arrivé en haut de la colline, il se coucha pour regarder de l’autre côté, mais il ne vit rien. Il balaya l’obscurité du regard pendant quelques instants. Sur le point de perdre espoir, il finit par entendre un bruit métallique sur sa droite. Il gravit une autre côte et aperçut le pick-up dans une petite dépression, moteur éteint, phares allumés, garé devant un puits d’où émergeait une faible lueur jaune.
Avec un GPS, Knox aurait pu enregistrer les coordonnées du site et courir chercher la police. Mais il n’en avait pas et ne disposait quasiment d’aucun moyen de se repérer. Il ne voyait que le scintillement orange du gaz naturel brûlant au loin et la ligne sombre des cheminées d’une centrale électrique. Il avança en rampant. Le puits ouvrait sur un escalier qui menait vers une sorte d’atrium. Un groupe électrogène ronronnait à l’intérieur. Knox se dirigea vers le pick-up. Il n’y avait plus que trois caisses sur le plateau. La première contenait une statue en terre cuite représentant un jeune garçon, un doigt sur les lèvres : Harpocrate, un dieu populaire chez les Égyptiens, les Grecs et les Romains. Knox prit une photo.
Weitere Kostenlose Bücher