L'énigme de l'exode

virage serré à gauche.
    — Une fois les marchandises arrivées à destination, continua-t-il, elles étaient transvasées dans des jarres de stockage. Celles-ci avaient un fond arrondi afin que l’on puisse les poser sur les sols sablonneux et les incliner facilement pour en déverser le contenu. Elles avaient également un long col et une embouchure étroite, que l’on pouvait fermer avec un bouchon, de sorte que les marchandises restaient fraîches. Mais les jarres contenant les rouleaux de la mer Morte étaient tout à fait différentes. Elles avaient un fond plat, un col court et une embouchure large. Et ce n’était pas un hasard.
    — C’est-à-dire ?
    Un tramway approcha avec fracas du carrefour sur lequel ils s’engageaient. Knox ralentit en faisant crisser les freins de la jeep.
    — Que savez-vous à propos de Qumrân ? demanda-t-il à Omar.
    — Ce site était occupé par les Esséniens, les membres d’une secte juive. Mais il me semble avoir entendu dire qu’il s’agissait d’une villa, ou d’un fort, ou quelque chose comme ça.
    — C’est vrai, cette hypothèse a été émise, reconnut Knox, qui avait été fasciné par Qumrân dès l’enfance, après un voyage qu’il y avait effectué avec ses parents. Mais je crois que c’est une erreur. D’après Pline, les Esséniens vivaient sur le rivage nord-ouest de la mer Morte. Si ce n’était pas à Qumrân, c’était tout près, et personne n’a trouvé d’emplacement plus convaincant. Un expert a donc résumé la situation très clairement : soit Qumrân et les rouleaux ont appartenu aux Esséniens, soit nous avons affaire à une coïncidence étonnante. En effet, deux grandes communautés religieuses auraient vécu quasiment l’une sur l’autre, partagé des idées et des rituels communs, et l’une aurait été connue des auteurs de l’Antiquité mais n’aurait laissé aucune trace, tandis que l’autre, ignorée de tous, nous aurait légué de vastes ruines et de nombreux documents.
    — D’accord, admettons que Qumrân ait été occupé par les Esséniens. Cela n’explique pas pourquoi ces jarres étaient uniques en leur genre.
    — Les Esséniens étaient obsédés par la pureté rituelle. Il en fallait peu pour rendre un récipient impur : une goutte de pluie, la chute d’un insecte, un déversement accidentel. Lorsque cela arrivait, c’était un véritable casse-tête. Une fois un récipient souillé, tout ce qu’il contenait devenait immédiatement impur et devait être jeté. Pire : on déversait les liquides et les céréales en un flot continu, qui, s’il subissait la moindre pollution, risquait de transmettre son impureté à l’ensemble de la jarre de stockage. Les pharisiens et autres sectes juives n’étaient pas aussi stricts sur ce point, mais les Esséniens ont préféré éviter de déverser directement les marchandises depuis les jarres. Ils se sont donc mis à utiliser des godets. Dès lors, leurs jarres, qu’il était devenu inutile d’incliner, ont eu un fond plat leur donnant une plus grande stabilité, ainsi qu’un col court et une embouchure large, dans lesquels il était plus facile de plonger un godet.
    — Et les jarres à large embouchure ont besoin d’un couvercle ! s’exclama Omar.
    — Exactement.
    Ils arrivaient au carrefour de la route du désert. Knox se pencha contre le volant pour regarder les panneaux de signalisation. Après avoir consulté les dossiers d’Omar, il avait constaté que seuls quatre sites étaient dirigés par des sociétés étrangères aux alentours du lac Mariout. De plus, il n’y avait actuellement aucune opération en cours à Philoxinite, à Taposiris Magna ni à Abou Mina, ce qui ne laissait qu’une piste à suivre : la Société d’archéologie biblique du Texas, un organisme menant des fouilles à proximité de Borg el Arab.
    — Et qu’est-ce que ce couvercle ferait ici ? demanda Omar, une fois Knox engagé sur la bonne route.
    — Il est peut-être là depuis des siècles. Les rouleaux de la mer Morte étaient connus des Anciens, puisque des écrits des II e , III e et IV e siècles témoignent de la découverte de manuscrits dans les grottes de Qumrân. Origène les a même consultés pour écrire l’ Hexapla.
    — La quoi ?
    — La Bible à six colonnes. La première colonne est en hébreu, la seconde en grec, et les suivantes sont consacrées aux versions de divers théologiens. Cette œuvre a permis aux chercheurs de comparer les textes et