L'énigme de l'exode

la moto sur la béquille et retourna frapper à la porte avec colère.
    — L’Évangile secret de Marc ! cria-t-il, lorsque Kostas lui ouvrit. Pourquoi ne m’avez-vous pas parlé de l’Évangile secret de Marc ?
    — Parce qu’il n’existe rien de tel, répondit Kostas.
    — Qu’est-ce que vous racontez ? Comment en aurais-je entendu parler s’il n’existait pas ?
    — Tu as entendu parler des licornes, n’est-ce pas ?
    — Cela n’a rien à voir !
    — C’est exactement la même chose. L’Évangile secret relève du domaine de l’imaginaire. C’est l’œuvre de la cupidité et de malveillance. Il n’a jamais existé. Il ne peut pas avoir de lien avec l’affaire qui nous occupe.
    — Nous n’en savons rien. Nous n’avons aucune certitude.
    — J’ai consacré ma vie entière à la recherche de la vérité ! protesta Kostas. La falsification est un cancer. Parler d’un faux, même en mal, c’est lui donner une légitimité qu’il ne mérite pas.
    — Vous auriez quand même dû m’en parler. Notre ami a des problèmes. Je dois tout savoir.
    Pendant quelques secondes, Kostas garda son air renfrogné, puis il soupira et céda.
    — Très bien, dit-il en conduisant à nouveau Augustin vers sa bibliothèque. Que sais-tu au juste ?
    — Pas grand-chose. Il y a quelques années, j’ai rencontré une Américaine qui faisait des recherches ici pour un livre sur les évangélistes. Elle s’appelait Maria, si je ne m’abuse...
    — Ah, oui ! Je me souviens d’elle. D’ailleurs, elle et vous... N’aviez-vous pas...
    — Nous avons passé quelques soirées ensemble. Elle m’a raconté que Marc avait en réalité écrit deux Évangiles : un pour le peuple, et un autre pour les initiés. Le second, désigné sous le nom d’Évangile secret de Marc, renfermait des enseignements ésotériques et controversés. Il avait un rapport avec les Carpocratiens, mais c’est tout ce que je sais.
    — Pour commencer, soupira Kostas, il n’y a jamais eu de deuxième Évangile.
    — C’est vous qui le dites !
    — Oui, et je le redis. Si tu en as entendu parler, c’est parce que, dans les années cinquante, un jeune universitaire américain, Morton Smith, a fait des recherches au monastère de Mar Saba. Il a déclaré avoir découvert une lettre recopiée dans les pages blanches d’un recueil du XVII e siècle rassemblant les épîtres de saint Ignace. C’était une pratique courante à l’époque, car le papier était rare et cher. Seulement, personne n’avait jamais entendu parler de cette lettre auparavant. Prétendument été écrite par Clément d’Alexandrie, elle abordait un sujet explosif. Cela en a fait une découverte majeure, grâce à laquelle Morton Smith s’est fait un nom. De plus, comme par hasard, elle confirmait une de ses théories fétiches, pour laquelle il n’existait aucune autre preuve.
    — Providentiel...
    — Il a écrit deux livres sur cette découverte : un pour le grand public et un autre destiné aux experts.
    — Comme l’évangéliste Marc.
    — Exactement. Cela faisait sans doute partie de ses canulars.
    — Ses canulars ?
    — Les historiens distinguent les canulars des faux. Un canular a pour but de faire passer les chercheurs pour des idiots à qui l’on peut faire gober n’importe quoi. En général, après avoir réussi son petit effet, l’auteur du canular finit par se dénoncer. L’artisan d’un faux, en revanche, cherche à tromper de manière définitive pour gagner de l’argent.
    Le premier est mal intentionné et extrêmement agaçant mais, au moins, il nous incite à rester vigilants. Le second est impardonnable. Cela dit, l’auteur d’un canular prend des risques, car la supercherie pourrait être décelée avant qu’il ne se dénonce, par quelqu’un qui l’accuserait d’être un faussaire. Il serait alors ruiné, peut-être même poursuivi en justice. Par conséquent, il a tout intérêt à prendre des précautions. Par exemple, il peut mettre un tiers dans la confidence et le charger de dévoiler la vérité le moment venu. Mais il peut aussi intégrer des indices révélateurs dans son œuvre. Un anachronisme, par exemple, comme une montre au poignet d’un acteur jouant un soldat romain dans un film. Pas aussi évident, bien sûr, mais tu vois ce que je veux dire.
    — Et lorsque quelqu’un fait un faux mais craint d’être démasqué, il peut, lui aussi, disséminer quelques indices de ce genre pour pouvoir prétendre, en cas de