L'énigme des vampires
le Mal absolu, le Mal métaphysique
lui-même, ce qui est la conséquence logique de la description terrifiante, profonde
et ténébreuse qu’on en donne.
Il y a d’autres interprétations, beaucoup plus subtiles. L’une
d’elles, qui est psychanalytique, en fait une des figurations du Père. Le
Dragon se trouve en effet dans une caverne dont il surveille les abords. Car la
caverne profonde, dont il est le gardien, sinon le possesseur, contient des
trésors qu’il est chargé de défendre contre d’audacieux jeunes gens qui tentent
de s’en emparer. La traduction est alors très claire : la caverne est le
ventre de la mère, et par extension la mère elle-même, que les fils désirent
investir et pénétrer, ce que leur interdit le Père, terrible et inflexible
défenseur des interdits sur l’inceste, et par voie de conséquence gardien des
lois et des mœurs que les jeunes générations veulent sans cesse bousculer. Le
complexe d’Œdipe justifie cette interprétation et nous indique combien l’aspect
du Sphinx (en réalité, la Sphinge ) peut être « dragonesque ».
Mais au-delà de la stricte signification sexuelle, mise en valeur par Freud, l’interprétation
psychanalytique a le mérite de conduire à une explication sociologique (la confrontation
entre l’individu et la société, le rapport entre nature et culture) et surtout
sur une constatation d’ordre purement psychologique. En effet, formé sur l’image
bien réelle du Père qui menace , le Dragon en
arrive à incarner de façon concrète les terreurs qui assaillent l’esprit humain,
terreurs ancestrales et peurs individuelles, qui, en prenant les formes
monstrueuses que l’on sait, empêchent l’évolution de l’être vers sa libération
et son épanouissement.
Enfin, ce qui est plus important, il existe une
signification sacrée du Dragon, on pourrait
même dire une signification ésotérique , celle
qui justifie l’Ordre du Dragon, et qui est présente, sous forme d’images
saisissantes, dans certains mythes fondamentaux. Le
Dragon est le gardien du Seuil , c’est-à-dire qu’il se trouve à l’endroit
précis des échanges entre les deux mondes, celui du visible et celui de l’invisible.
Et quand il n’est pas à ce point précis, il en indique néanmoins le chemin. De
là découlent quantité de traditions, non seulement liées à la lutte sanglante
des héros contre le monstre, mais également attachées à la recherche des
parfums et des baumes subtils, magiques ou divins, qui permettent la guérison
des corps, la longévité ou même l’immortalité, la possibilité d’échapper à la
mort physique pour accéder aux réalités supérieures. Alors, le dragon figure
concrètement le passage dans l’Autre Monde [114] .
Tout cela repose sur le mythe de la Chute, telle qu’elle est
exprimée dans la Genèse . Pourquoi ce serpent –
qui n’est absolument pas le Diable – sur l’Arbre de la Connaissance du Bien et
du Mal ? Pourquoi la lutte entre les Archanges ailés et les Archanges
déchus mais toujours ailés (en noir) ? Pourquoi cette union des Fils des
Élohim avec les Filles du Glébeux, union qui leur fait perdre leurs ailes ?
Car le Dragon est ailé tandis que le Serpent ne l’est point. Il y a connotation
entre eux ; mais l’un, le Dragon, appartient au monde aérien, supérieur, et
l’autre, le Serpent, est sur la Terre, en bas. Il faut cependant remarquer que
Lucifer, précipité dans les Abîmes, n’en perd pas pour autant ses ailes. Ce qui
est en bas est comme ce qui est en haut. Lucifer est toujours Dragon ailé ;
c’est seulement la couleur de ses ailes qui est supposée avoir changé. « Au-delà
des différences, les sources traduisent cependant sur un point un accord
unanime : un dragon est, avant tout, un serpent ailé. C’est donc aux ailes
du dragon que l’on s’intéressera en premier. Leur présence signale en effet une
maîtrise du ciel qui a de quoi surprendre chez des êtres dont le caractère
chthonien est par ailleurs très accusé. Les dragons de légende hantent de
préférence les grottes et les fontaines qui sont autant d’ouvertures sur le
monde souterrain. Quant aux serpents, on sait bien qu’ils vivent dans des trous.
En les dotant d’ailes, la légende fait donc de ces maîtres des profondeurs des
maîtres du ciel. Les dragons ne seraient-ils donc pas les opérateurs concrets
qui permettent de penser la conjonction de ces termes opposés, ou les figures
de
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