L'énigme des vampires
barbouillé
de jus ;
il fait rôtir sur le feu le cœur
de Fafnir ;
il me paraîtrait sage, le
gaspilleur de bagues,
s’il mangeait le reluisant muscle
de la vie (= le cœur).
Voilà Regin couché ; il
médite à part lui
et veut trahir le jeune homme qui
se fie à lui ;
dans sa colère, il combine des
projets perfides ;
l’artisan des méchancetés pense à
venger son frère.
Envoie donc le bruyant bavard,
d’une tête plus courte, au royaume
de Hel (= chez les Morts).
Tu pourras disposer seul de tout l’or
qui gisait en abondance sous
Fafnir [120] … »
Sigurd se garde bien d’ignorer ce que disent les oiseaux. Il
tranche la tête de Regin, mange une partie du cœur de Fafnir et garde
précieusement le reste, boit le sang des deux victimes et écoute encore les
oiseaux qui prophétisent sur lui en termes voilés. Puis il suit les traces de
Fafnir et parvient jusqu’au repaire de celui-ci : « Toutes les portes
étaient en fer, de même que les supports des galeries ; les piliers de la
caverne étaient également en fer et profondément fixés dans le sol. Sigurd y
découvrit une grande quantité d’or ainsi que l’épée Hrotti. Il s’empara du
casque d’épouvante, de la cuirasse d’or et de maints objets de valeur [121] . »
Sigurd est maintenant en possession des trésors que gardait jalousement le
dragon Fafnir. Ces trésors sont évidemment symboliques. Ajoutés au don de
comprendre le Langage des Oiseaux, ils font accéder le héros à un stade très
supérieur de l’initiation.
Le tout est de savoir si cette initiation est blanche ou noire . Compte
tenu du destin tragique qui attend Sigurd – qui, en dépit de la compréhension
du « Langage des Oiseaux », n’est pas capable de saisir le sens réel
des avertissements que les oiseaux lui donnent –, on serait tenté de répondre
que cette initiation est noire , négative, maléfique.
Il est vrai que, dans la mythologie germano-scandinave, de conception profondément
pessimiste, le destin des héros est toujours tragique, quelle que soit la valeur
de l’être, le monde étant, de toute façon, condamné à la destruction, ce ragnarök inéluctable, ce « Crépuscule des Dieux »
qui s’accomplira dans les pires fournaises infernales. Mais il en est à peu
près de même pour Tristan : quand il est contaminé par le sang du Dragon d’Irlande, il subit certes une initiation, il franchit
une étape décisive ; mais celle-ci ne le mènera qu’à la souffrance et à la
mort. C’est que le Dragon est ici un Vampire dans le sens le plus maléfique et
le plus négatif. Il contamine les héros et en fait des vampires comme lui. Sigurd
n’emporte-t-il pas le « casque d’épouvante » qui était la marque du
dragon-vampire ? Le dragon Fafnir serait plutôt une incarnation des forces
du Mal : d’ailleurs, il est le gardien d’un trésor maudit, comme le Dragon
d’Irlande est le gardien d’un amour maudit. Tout cela représente assurément une
déchéance par rapport à un stade originel où le Vampire était – peut-être – un
archange aux ailes blanches.
« Pour en revenir maintenant au dragon, il apparaît que
ses tribulations suivent un cours parallèle à celui des relations entre les
hommes et Dieu. Associé à l’heureuse conjonction originelle du ciel et de la
terre dans le jardin d’Éden, il devient ensuite le symbole des mauvaises conjonctions.
Mais ne conserve-t-il pas quelque chose de sa fonction médiatrice, en dehors de
toute diabolisation ? C’est du moins ce que suggère le motif du dragon
pourvoyeur de chrême : si le chrême
symbolise, comme le manifestent ses emplois dans la liturgie, la rencontre de l’humain
et du divin, du ciel et de la terre, il partage avec le dragon cette fonction
médiatrice [122] . » Car le dragon, dans
certaines traditions bien établies, est producteur de baume, ou de chrême, ainsi
que de parfum, aussi bien que de trésors ou même de pierres précieuses recelées
dans sa tête ou dans sa queue. L’exemple de la vouivre ,
ce serpent mythique, qui porte une escarboucle sur son front, et qui la dépose
sur une pierre quand elle va boire à la fontaine, est significatif. Cette
croyance est répandue partout, et elle se retrouve dans le mythe de Mélusine,
« la serpente qui vole ». Mais malheur à celui qui tente de ravir l’escarboucle…
On sait que le « Saint Chrême » (du grec chrismos , d’une racine khri ,
« oindre », qui a
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