L'énigme des vampires
médiation entre ces extrêmes [115] ? »
Là encore, se dessinent les éléments d’une étrange théologie
qui, pour être chrétienne, n’en est pas moins surprenante. Tout part d’un
célèbre Serpent d’Airain que Moïse fait dresser devant les Hébreux pour les guérir de leur idolâtrie avant même de les
guérir matériellement, c’est-à-dire pour opérer la jonction entre la Terre et
le Ciel, jonction qui était anéantie depuis que les Hébreux avaient succombé
aux charmes des antiques divinités orientales. Le texte de l’Évangile selon
saint Jean est absolument explicite : « Comme Moïse éleva le Serpent
dans le désert, ainsi faut-il que soit élevé le Fils de l’Homme, afin que quiconque
croit ait par lui la vie éternelle » (III, 14-15). Aucun exégète
catholique n’a pu rejeter l’inéluctable analogie entre le Serpent d’Airain (=
le Dragon ailé) et le Christ sur la Croix, pendu entre ciel et terre. Rejeter
cette évidence, ce serait rejeter le fondement même du Christianisme. Mais, sur
cette Croix, ô combien symbolique ! le Christ saigne ,
et comme l’a si bien senti, dans son mysticisme morbide, Thérèse de Lisieux, le
sang qui coule de ses plaies ne doit pas être perdu. Il est en effet la vie , et si l’être humain veut vivre , il doit absorber, sucer le sang qui coule des blessures de Jésus. C’est le sens profond du « saint »
Graal dans sa version chrétienne. C’est aussi le sens véritable de la
transsubstantiation de la coupe tendue par le Christ à ses disciples, y compris
Judas, et qui contient son sang , versé pour
les autres. Le Christ est donc le Serpent d’Airain. Mais, contrairement au
Serpent qui s’enroule autour de l’Arbre du jardin d’Éden, le Christ est le
Dragon, le Dragon ailé qui est le lien entre le Ciel et la Terre, entre le
visible et l’invisible, entre ce monde-ci et l’Autre Monde, le médiateur par
excellence, sans lequel aucun être humain, imparfait, ne pourrait connaître l’image
de Dieu, essence même du Parfait. Le rite est alors immuable : il faut
boire le Sang du Dragon.
C’est ce que fait Tristan lorsqu’il tue le Dragon d’Irlande
et se fait contaminer par son sang « empoisonné », image qui traduit
aisément le passage d’un état à un autre. C’est Yseult (ou sa mère, mais nous
avons vu que c’est le même personnage dédoublé pour la circonstance) qui le
réintègre – du moins provisoirement – dans sa dimension humaine et terrestre, car
son rôle ici-bas n’est pas terminé. Et c’est ce que fait un des plus importants
héros de la mythologie universelle, le héros Siegfried, ou plutôt Sigurd, puisque
tel est son nom dans l’archétype scandinave, lui aussi « fils de l’Homme »,
et destiné à montrer aux humains « le chemin et la vie ».
On connaît surtout le Siegfried médiéval popularisé par le
texte allemand du Nibelungenlied et repris
avec bonheur par Richard Wagner dans sa Tétralogie .
Mais le Siegfried allemand, par suite d’une double influence, chrétienne et
courtoise, est un héros bien affadi par rapport à son modèle, le Sigurd des
sagas scandinaves, lesquelles représentent une vision beaucoup plus archaïque, et
donc, semble-t-il, plus authentique, de la tradition germano-scandinave aux
époques dites païennes. Richard Wagner en avait pleinement pris conscience, puisque
dans l’ Anneau du Nibelung , il opère une
savante synthèse entre la version allemande et la version scandinave. Or, Sigurd,
fils de Siegmund et de Sieglind, amant de la valkyrie Sigrdrifa (Sigrid), alias
Brunhild, par suite d’un dédoublement, est un de ces héros de lumière confronté
au Vampire et qui, lui-même, pour accomplir son destin, deviendra vampire.
Tout commence par un obscur et délictueux marchandage entre
Odin-Wotan et les dieux, d’une part, et les forces ténébreuses, nains et géants,
qui sont les seules à posséder les trésors secrets de la Vie. Consciemment, Odin,
qui fait d’ailleurs agir le dieu ambigu Loki à sa place, dépouille ces puissances
mystérieuses de l’Or du Rhin, et en particulier du fameux Anneau d’Andvari qui
peut reproduire l’or à volonté, véritable pierre philosophale de la mythologie
nordique. Cela conduit à une rivalité mortelle entre deux de ces puissances
ténébreuses, Regin et Fafnir. Regin tue leur père Hreidmar, dépositaire du
trésor, mais pendant ce temps-là, son frère Fafnir s’empare du trésor et refuse
de le
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