L'énigme des vampires
même avec toute autre femme [109] .
C’est dire le vampirisme exercé par Yseult la Blonde sur son amant. On pourrait rétorquer que l’inverse
n’est pas valable, Yseult la Blonde ne refusant pas le coït conjugal avec le
roi Mark. Mais là, elle n’est qu’obligée par la loi, ce qui ne l’empêche d’ailleurs
pas d’y prendre quelque plaisir. La chair est faible… Mais tous les auteurs
prennent grand soin de nous avertir que la reine Yseult ne pense qu’à Tristan, même
quand elle accomplit son devoir. L’obsession est partagée, et si Yseult la
Blonde n’est pas impuissante physiquement, c’est
parce que les réactions physiologiques de la femme sont différentes de celles
de l’homme. Il faut se souvenir que, lors de la réconciliation entre Tristan et
Mark, lorsque le roi a repris officiellement son épouse et que les deux amants
se sont séparés, ils ont échangé entre eux des dons d’amour ,
le chien de Tristan pour Yseult, l’anneau d’Yseult pour Tristan. Et Yseult
ajoute qu’elle suivra n’importe quel messager qui lui présentera cet anneau
afin de le retrouver : « Aucune tour, aucun mur, aucun château fort
ne m’empêchera d’accomplir immédiatement la volonté de mon bien-aimé [110] . »
On ne peut définir plus clairement un cas de possession.
Il y a enfin la troisième blessure. Tristan, contraint par
une sorte de geis irlandais de s’accorder
lui-même avec le surnom de « l’Amoureux » qu’on lui donne, s’en va
combattre les ennemis d’un certain Tristan le Nain, ravisseurs de la femme de
celui-ci. Mais le combat s’achève tragiquement : « Tristan le Nain
reçut un coup mortel et l’autre Tristan fut blessé aux reins par un épieu
empoisonné. Sa colère lui permit une belle vengeance car il tua celui qui l’avait
blessé [111] » ; issue
logique, puisque doivent mourir tous ceux qui tirent du sang à Tristan. Mais
Tristan est mal en point : « Il fait venir des médecins pour le
secourir. On en fait venir plus d’un à son chevet mais aucun ne peut le guérir
du poison. L’état de celui-ci ne fait qu’empirer. Le venin se répand dans tout
son corps, fait enfler l’intérieur et l’extérieur de son corps [112] . »
La suite est bien connue. Tristan ne veut pas mourir sans
avoir revu Yseult la Blonde et envoie son beau-frère Kaherdin chercher celle-ci.
En réalité, et sans que les textes le disent explicitement, Tristan sait bien
que seule Yseult peut le guérir. Yseult, elle, en est parfaitement consciente
et elle le dira au cours de son monologue devant la couche funèbre de son amant.
Mais elle arrivera trop tard, par suite des circonstances : une tempête
qui déporte le navire, puis un calme plat qui l’empêche d’avancer. Elle
arrivera donc après la date limite où Tristan,
l’homme-lune, devait absorber l’énergie d’Yseult, la femme-soleil. Privé du
sang qui lui est nécessaire, le vampire s’étiole et disparaît définitivement. Quant
à Yseult, on nous dit qu’elle meurt d’amour sur le corps de Tristan. C’est vrai.
Mais c’est aussi parce qu’elle-même tire sa force de l’énergie vitale contenue
dans le sang de son amant. « Ni vous sans moi, ni moi sans vous. »
Telle est la formule qu’emploie Yseult juste au moment de s’éteindre. L’un n’existe
pas sans l’autre. C’est évidemment une sublimation de l’amour total, de l’amour
absolu entre deux êtres. Mais c’est aussi la constatation d’un phénomène de vampirisme
qui, s’il n’est pas présenté sous les aspects terrifiants des histoires
habituelles de vampires, n’en présente pas moins le même schéma. On remarquera
que Tristan a été blessé aux reins par un épieu ,
ce qui n’est pas sans intérêt. Alors faut-il comprendre que Tristan et Yseult
étaient des non-morts qui prolongeaient leur
vie artificiellement par vampirisme en s’abreuvant chacun du sang de l’autre, le
symbole de la coupe dont ils ont bu ensemble le contenu, probablement du sang, étant
à cet égard fort significatif ? Cela paraît audacieux de faire de ce
couple idéal un couple de vampires. Et pourtant… D’ailleurs, Tristan n’est pas
innocent. Pour posséder réellement Yseult, il a fallu auparavant qu’il tuât le
dragon et qu’il en bût le sang.
IV - LE SANG DU DRAGON
Il faut revenir à cet « Ordre du Dragon » fondé
par Sigismond de Hongrie, empereur du Saint-Empire romain germanique, en 1418, et
dont faisait partie Vlad Tepes,
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