L'énigme des vampires

révélation de sa
nature véritable dans le parc de Versailles, où il aurait rencontré
Marie-Antoinette et tous les occultistes qui grouillaient autour du malheureux
Louis XVI en attendant de le précipiter sous le couperet de la guillotine.
Ce n’est évidemment pas sérieux. Si le comte de Saint-Germain est parmi nous, il
n’est pas douteux qu’il fasse tout son possible pour se faire ignorer. Était-il,
ou plutôt est-il un vampire ? Que
signifie donc cette « immortalité », ou plutôt cette « longévité »
dont il se voit revêtu ? Il faut avouer qu’identifier le très historique
comte de Saint-Germain avec un vampire, buvant le sang de son escouade de
jeunes filles et réapparaissant de temps à autre pour prophétiser ou accomplir
une action d’éclat, est une chose satisfaisante pour l’imaginaire.
    Il importe cependant de mesurer les critiques qu’on peut
faire à l’égard de ces légendes. À l’heure actuelle, on ne sait plus qui est
qui. Les prophètes et les visionnaires ne sont pas des divinités incarnées, des
« hypostases » comme on dit, mais des humains doués de ce que les
Orientaux appellent le « troisième œil », de ce que la tradition
occidentale qualifie de « don de double vue ». Cela n’a rien de
merveilleux, ni de fantastique, et se réfère simplement à une science humaine
qu’on nomme la parapsychologie. Mais, par contre, il n’en est pas de même lorsqu’on
soulève le problème des « entités » extérieures à notre monde visible
et qui, selon certaines spéculations, se trouvent réparties à travers l’humanité,
prenant, en ces circonstances, les formes les plus inattendues, à la fois pour
ne pas se faire remarquer, et pour délivrer de prétendus messages. La
Science-Fiction nous a habitués à ces catégories d’ envahisseurs ,
venus d’autres planètes, qui ne se distinguent des humains que par des détails
insignifiants, mais qui poursuivent une œuvre mystérieuse. C’est dans cette
catégorie qu’il convient de ranger les êtres extraordinaires que sont, du moins
dans une tradition scientifiquement invérifiable, les vampires du type de
Dracula ou de la non-morte Clarimonde.
    D’après cette tradition, à la fois populaire et savante, les
vampires peuvent se diviser en deux classes fort différentes. Il y a d’abord
les vampires maudits pour avoir commis des fautes, pour avoir pactisé avec le
Diable, en un mot pour s’être dressés contre le plan divin. Ce seraient, dans
ce cas, des « vampires métaphysiques », des « vampires religieux »
qui, comme le Juif errant, sont condamnés à parcourir le monde jusqu’au jour du
Jugement en expiation de leurs erreurs passées. Mais il existerait une seconde
classe de vampires, celle des « vampires magiques », résultats de
manipulations plus ou moins diaboliques de magiciens ou de sorciers
prétendument revêtus de pouvoirs spéciaux et dépositaires de secrets jalousement
gardés. C’est alors qu’il faut en revenir au Livre d’Abramelin
le Mage , qui indique clairement qu’on peut, dans certaines conditions et
par la connaissance de ces secrets jalousement mis à l’écart du commun, redonner
à un corps mort l’apparence de la vie, c’est-à-dire une vie végétative et
intellectuelle, à l’exclusion de toute vie spirituelle supérieure. On pourrait,
bien entendu, ranger les Zombies dans cette catégorie de défunts manipulés
exclusivement par un mage ou un sorcier. De toute façon, il s’agit bel et bien
de Corps sans Âme . Et un être humain qui est
privé de son âme, mais non de son esprit, est un « mort-vivant », un non-mort , une monstruosité, un défi aux lois de la
nature autant qu’aux lois de Dieu. Voilà pourquoi le thème du vampire a été « diabolisé » :
le vampire est une caricature d’être humain.
    Et pourtant… Le problème n’est pas si simple. Pour se convaincre
de l’ambiguïté fondamentale du vampire, il convient de recourir une nouvelle
fois à un récit mythologique. Cette fois, il s’agit d’un texte traditionnel de
l’Inde, rédigé au XI e  siècle sur des
données largement antérieures et qui semblent remonter au plus profond d’un
savoir indo-européen. Le titre en est révélateur, puisqu’il s’agit des Contes du Vampire [159] . Ce ne sont pas les
contes en eux-mêmes qui sont intéressants pour notre sujet, mais la trame
dramatique qui les provoque et les justifie. Cette trame peut facilement