L'énigme des vampires
se
résumer. Un roi reçoit d’un moine-mendiant des cadeaux étranges, des fruits qui
contiennent des joyaux. Or, un jour, le moine-mendiant demande au roi de l’aider
à accomplir un rituel d’exorcisme. Le roi lui promet son concours :
« Quand ce quatorzième jour fut arrivé, le roi au grand
cœur se rappela la requête du mendiant… Et quand la nuit vint, il sortit du
palais sans être remarqué, vêtu de noir, marqué d’un tilaka noir au front, l’épée à la main. Il se rendait au cimetière : la masse
effrayante des ténèbres épaisses y ternissait le regard ; la flamme des
bûchers funèbres y formait autant d’yeux redoutables ; lugubre à voir
était ce cimetière, monstrueux avec les ossements sans nombre, crânes et
squelettes humains ; des fantômes, des vampires gigantesques, pleins d’excitation,
en investissaient les abords ; les hurlements perçants des chacals y résonnaient…
Mais le roi n’en fut pas troublé : il regarda et découvrit le mendiant au
pied du banian, en train de tracer un cercle magique. » Et le
moine-mendiant lui demande alors : « Marchez en direction du sud
jusqu’à l’endroit où se trouve à quelque distance d’ici un arbre simsapa solitaire. À cet arbre est pendu le cadavre
d’un homme. Apportez-moi ce cadavre. » Mais tout ne se passe pas aussi
facilement que le pense le roi. « Le roi vit alors d’une branche maîtresse
un cadavre qui pendait, semblable à un fantôme. Il grimpa, trancha la corde et
fit tomber le corps à terre ; celui-ci, en tombant, poussa
imprévisiblement un cri comme quelqu’un qui a mal. Alors le roi, soupçonnant qu’il
était encore vivant, descendit et frotta le corps avec compassion. Le cadavre
émit un rire sinistre. Le roi comprit qu’il était possédé par un vampire [160] . »
Certes, on pourrait discuter sur le terme sanskrit vetala que l’on traduit ordinairement par le mot « vampire ».
En Inde, le vetala est une sorte de fantôme
qui se loge dans un cadavre, et à ce compte, il pourrait être comparé à un
zombie d’Amérique centrale, mais il n’est pas forcément suceur de sang, et en
tout cas, il n’est jamais décrit comme obligatoirement méchant ou cruel. Cependant,
une telle conception rappelle les rituels du Livre d’Abramelin
le Mage qui sont censés pouvoir redonner un semblant de vie à un cadavre :
le thème du vampire classique européen s’y retrouve, même si les nuances en
sont parfois différentes. Dans le récit indien, on comprend que le roi, en frottant
le cadavre, accomplit une sorte de rituel destiné à lui rendre la parole, à lui
permettre de se manifester. Quant au fait de transporter un pendu sur son dos, ce
que va faire le roi, il semble que ce soit une action magique remontant à la
nuit des temps et dont on retrouve le souvenir, à l’autre extrémité de l’aire
indo-européenne, dans la tradition ancienne de l’Irlande [161] .
Donc, le roi, pour obéir au moine-mendiant, emporte le cadavre-vampire.
Mais, vingt-quatre fois, le vampire raconte une histoire au
roi, histoire qui se termine par une énigme que celui-ci doit résoudre. Et
vingt-quatre fois, le cadavre se retrouve pendu à l’arbre. La vingt-cinquième
fois, le roi ne peut résoudre l’énigme et le vampire lui révèle alors que le
moine-mendiant veut se livrer à un rituel compliqué afin d’obtenir la
souveraineté sur les Esprits aériens, mais en le sacrifiant lui-même. Et il lui
indique le moyen de contrer le moine-mendiant, considéré comme un usurpateur et
d’obtenir cette souveraineté pour son propre compte. « Cela dit, le
vampire, fort satisfait, quitta le corps sur l’épaule du roi. » Le roi
transporte le cadavre auprès du moine-mendiant. « Sur le sol enduit de
sang, il avait tracé un cercle magique avec de la poudre blanche faite d’os
broyés ; il avait disposé des jarres pleines de sang aux quatre coins
cardinaux. Des chandelles de graisse humaine jetaient un vif éclat… Le mendiant,
qui croyait son but atteint, fit glisser le cadavre de l’épaule du roi, le lava,
le frotta d’arômes, attacha une guirlande autour du corps, puis le mit à l’intérieur
du cercle… Puis il conjura le vampire à l’aide de formules magiques et le
contraignit d’entrer dans le corps » (pp. 200-201). Voilà qui
rappelle singulièrement les méthodes employées par Abraham van Helsing, et
aussi les rituels d’Abramelin le Mage pour s’assurer la possession du
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