L'énigme des vampires
à la décomposition, à la dissolution ? Le vampire est
l’expression la plus précise, la plus saisissante et la plus concrète de cette
question essentielle qui concerne l’humanité tout entière lorsqu’elle est à la
recherche du pourquoi et du comment de sa réalité.
Certes, le vampire apparaît comme une exception, un cas
aberrant. Mais l’on sait que c’est toujours grâce à des cas aberrants que la
connaissance progresse. C’est par l’étude des maladies, des anomalies, des
accidents divers que la médecine et la chirurgie ont pu faire des progrès
considérables et tenter de définir un portrait de l’homme idéal. Les anomalies
renvoient nécessairement a contrario à ce qui
passe pour être normal. Et si le vampire est une aberration – dont nous devons
nous méfier et que nous devons combattre jusqu’à anéantissement – fortement
teintée de satanisme, du moins dans un contexte chrétien, il n’en reste pas
moins révélateur d’une possibilité , d’une potentialité , et il a le mérite de poser en pleine
lumière le problème des frontières exactes entre la vie et la mort, frontières
qui, on le sait, sont toujours très difficiles à mesurer, quels que soient les
efforts accomplis par la Science en ce domaine. Vaste problème.
Et vaste mystère.
Car, après tout, on est en droit de se demander quelle est l’origine
exacte de la croyance aux vampires et quelles en sont les composantes exactes. L’un
des documents les plus anciens qu’on possède à ce sujet date de la fin du XVII e siècle, d’octobre 1694 très exactement. Il s’agit
d’un article du Mercure galant dont voici l’essentiel :
« Ils (les vampires) paraissent (en Russie et en Pologne) depuis midi
jusqu’à minuit et viennent sucer le sang des hommes ou des animaux vivants en
si grand nombre et en si grande abondance, que quelquefois il leur sort par la
bouche, par le nez et principalement par les oreilles, et quelquefois le
cadavre nage dans le sang répandu dans son cercueil. » Quant à la
malédiction jetée par le vampire, « elle s’étend jusqu’à la dernière
personne de la famille ». Le seul moyen d’interrompre cette malédiction
est d’ouvrir le cercueil. On y découvre alors « le cadavre mol, flexible, enflé
et rubicond, quoiqu’il soit mort depuis longtemps. Il sort de son corps une
grande quantité de sang que quelques-uns mêlent avec de la farine pour faire du
pain. Et ce pain mangé à l’ordinaire les garantit de la vexation de l’esprit, qui
ne revient plus ». Mais pour ceux qu’un tel aliment rebuterait, la méthode
la plus expéditive est celle adoptée par Abraham van Helsing dans le roman de
Stoker : en lui coupant la tête ou en ouvrant le cœur du revenant. Voilà
qui est assez terrifiant. Quels sont donc ces morts qui ne sont pas morts, et
qui sont dangereux pour les vivants ? Et, par voie de conséquence, quels
sont ces vivants qui ne sont pas totalement vivants ? Les portes de l’étrange
sont largement ouvertes.
Car les vampires ne sont manifestement pas des fantômes, des
revenants, comme on a l’habitude d’en rencontrer, sinon authentiquement dans
les campagnes, du moins dans la tradition populaire dûment conservée par la mémoire
paysanne. Les vampires ne sont pas des revenants, puisque c’est leur corps mort qui revit pendant la nuit, ou durant une partie
de la journée (là, les témoignages sont très discordants). Et même si l’on
constate une certaine analogie avec les voués de la tradition bretonne armoricaine, âmes en peine condamnées à errer sur terre
pendant leur temps de purgatoire, ces vampires n’ont pas de salut à attendre, aucun
pardon à implorer. Ce sont des êtres maudits définitivement, et qui répandent
autour d’eux le mal et la terreur. Et pourtant, ce ne sont pas des créatures
envoyées par Satan. Quelle est donc l’origine de cette énigmatique race de
vampires ?
Certes, il existe des animaux qui sucent le sang des autres
animaux et même des hommes, en pratiquant une morsure au cou. Ce sont des
chauves-souris d’Amérique latine, êtres bien réels, répertoriés
scientifiquement, qui dorment le jour dans des grottes ou dans des greniers, s’éveillent
dès que la nuit tombe et s’en vont à la recherche de leur nourriture. La
plupart du temps, d’ailleurs, ces chauves-souris se contentent d’insectes ;
mais si la chasse n’a pas été suffisante, il leur arrive de s’attaquer au
bétail et aux
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