L'énigme des vampires
dit-on, des hommes morts depuis plusieurs années, ou du moins
depuis plusieurs mois, revenir, parler, marcher, infester les villages, maltraiter
les hommes et les animaux, sucer le sang de leurs proches, les rendre malades
et enfin causer leur mort ; en sorte qu’on ne peut se délivrer de leurs
dangereuses visites et de leurs infestations, qu’en les exhumant, les empalant,
leur coupant la tête, leur arrachant le cœur, ou les brûlant. » Ce texte
date de 1751. Mais, en 1755, on peut lire dans le Rapport
médical sur les Vampires , de Gérard von Swieten, rédigé à la demande de
Marie-Thérèse d’Autriche, la même recette pour se débarrasser des monstres :
« La cérémonie qui se pratiquait était dirigée par la Huduagij ou par le juge du lieu, un homme très versé
dans le vampirisme. On fichait un pieu aiguisé dans la poitrine du vampire en
lui transperçant tout le corps ; ensuite, on lui coupait la tête ; enfin,
on brûlait le tout et la cendre était jetée dans une fosse. » Et, en 1771,
Louis-Antoine de Caraccioli, dans sa Lettre à une
illustre morte , où il nie la réalité des vampires, se fait le rapporteur
d’une curieuse histoire d’un religieux polonais qui, à Lublin, aurait été
témoin d’un cas de vampirisme. Il s’agit d’un moine qui, exposé après sa mort, présentait
toutes les caractéristiques d’un vampire. Après des objurgations et des
exorcismes, le prétendu vampire continue ses méfaits nocturnes. Le supérieur
ordonne donc « de lui couper la tête et d’enfoncer un pieu dans le cœur ».
Mais ce rituel sanglant est assez effrayant, qu’on en juge : « Un
fracas épouvantable répandit l’alarme toute la nuit ; ce qui dura jusqu’au
lendemain où je me rendis auprès du cadavre pour lui signifier que puisque l’amputation
n’avait pu le rendre sage, il serait brûlé… Le corps qu’on jeta dans les
flammes fut bientôt réduit en cendres, mais en excitant une horrible tempête. »
On remarquera que cela se passe en plein « Siècle des Lumières ». Et
l’on comprend pourquoi Abraham van Helsing prend soin de mettre de l’ail dans
la bouche de la pauvre Lucy…
Il y a bien d’autres exemples : « En l’an 1725, le
chef du district de Gradliska fut acculé à faire appel à la force armée pour
libérer le village slovène de Kislova de l’emprise du vampirisme. D’après un
rapport des autorités militaires de Belgrade, l’assassinat de neuf des
villageois fut attribué par leurs enquêteurs à un certain Peter Plogojowitz… décédé
plusieurs jours avant les neuf meurtres. Les neuf victimes étaient toutes des
voisins de Plogojowitz, lequel était revenu d’entre les morts pendant la nuit
pour les mordre à la gorge et les vider de tout leur sang… La tombe de Peter
Plogojowitz fut donc ouverte… Les investigateurs déclarèrent avoir trouvé feu
Peter couvert de sang de la tête aux pieds, en même temps qu’il était gorgé de
sang jusqu’aux amygdales. Ses yeux luisaient comme s’il était en vie, bien qu’un
médecin légiste l’ait dûment certifié mort… Un pieu en bois fut enfoncé dans
son cœur avec un gros maillet ; un abondant jaillissement de sang surgit
de sa poitrine. Feu Peter fut ensuite incinéré, et ses cendres furent
dispersées aux quatre vents, pour plus de sûreté [16] . »
Souvenons-nous de cet article du Mercure galant ,
d’octobre 1694, où il est bien précisé qu’on peut interrompre le cours des
méfaits d’un vampire « en lui coupant la tête ou en ouvrant le cœur du
revenant ». La recette utilisée par le professeur van Helsing est bien
connue, et depuis fort longtemps, même s’il y ajoute le détail de l’ail qui
semble proprement roumain ou hongrois.
Cette cérémonie d’exorcisme étant replacée dans son cadre
traditionnel et populaire, il convient de s’attarder sur quelques détails qui
concernent l’état étrange dans lequel se trouve plongée Lucy Westenra, aussi
bien avant qu’après sa mort apparente. Au moment où elle meurt, il semble bien
que deux forces contradictoires opèrent en elles, se succédant à une vitesse
véritablement infernale. Elle sort de son calme apathique et morbide pour tenter,
avec violence, de mordre son fiancé pendant qu’il
l’embrassera. Mais quelques secondes plus tard, elle retombe dans sa torpeur, laissant
échapper une supplication destinée au professeur van Helsing : « À
moi donnez le repos ! » C’est dire que
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