L'énigme des vampires

attribuées à quatre apôtres ou soi-disant tels. L’essentiel est que le Livre d’Abramelin le Mage existe, qu’il a
beaucoup inspiré les milieux occultistes, et qu’il véhicule une tradition à la
fois kabbalistique et gnostique [17] .
    Or ce livre contient, en son chapitre XIII – nombre qui, dans
le Tarot, est celui de « la Mort » –, la description d’une opération magique,
«  pour faire qu’un corps mort ressuscite et
fasse les Opérations que ferait l’homme vivant, et cela pendant sept ans, par
le moyen de l’esprit  ». Il ne faut évidemment pas prendre à la
lettre les sept années, le nombre 7 étant celui d’un cycle accompli. Mais voilà
qui est bien curieux et n’est pas sans rappeler le vampirisme. Certes, une
telle opération paraît dangereuse : « C’est une Opération très grave
et très pénible que de faire rentrer l’esprit dans le corps mort, parce que les quatre Princes Souverains
y doivent opérer. Il est nécessaire de ne commencer cette Opération que lorsque
le malade est prêt à mourir, et qu’on désespère de sa vie. Il faut faire en
sorte que l’Opération soit faite un peu avant que le malade ne rende l’âme, comme
nous l’avons dit dans le second livre. On ne doit point faire cette Opération
pour se divertir, ni pour toutes sortes de personnes, mais seulement dans une occasion
plus que nécessaire. Je ne l’ai faite que deux fois dans ma vie, pour le duc de
Saxonie, et pour une dame que l’empereur Sigismond aimait passionnément [18] . »
Il faut savoir que cet empereur de Hongrie dont il est question ici, Sigismond, a fondé en 1418 l’Ordre du Dragon, dont faisait
partie Vlad Drakul, père de Vlad Tepes, autrement dit Dracula, qui est le
modèle historique du personnage. Ce ne peut être une simple coïncidence.
Et l’on sait aussi que cette jeune fille, dont était amoureux Sigismond, se nommait
Barbara de Cilly, et qu’elle était en quelque sorte l’inspiratrice et l’égérie
de l’Ordre du Dragon. Et, ailleurs dans ce livre, on peut encore lire :
« Je donnai à mon Empereur, Sigismond, Prince très clément, un Esprit
familier de la seconde Hiérarchie, d’après la demande qu’il m’en fit. Il s’en
servit avec prudence. Il voulait avoir toute l’opération [19] .
Mais ayant été averti de la part du Seigneur que ce n’était pas Sa Volonté, il
s’en contenta, non comme Empereur, mais comme simple particulier. Par le moyen
de mon art [20] , je lui facilitai son
mariage avec sa femme, et je le fis affranchir des grandes difficultés qu’on
lui opposait [21] . » Tout cela
apparaît bien mystérieux. On prétend aussi que le fameux comte de Saint-Germain,
au XVIII e  siècle, avait confié à quelques
initiés les éléments d’un rituel de réanimation en tous points semblable à
celui d’Abramelin le Mage. Et l’on ajoute que le comte de Saint-Germain vivait
en compagnie de plusieurs jeunes femmes de grande beauté, ce qui n’est pas sans
faire penser au harem du comte Dracula, dans le roman de Stoker. Il est
probable que l’écrivain irlandais savait toutes ces choses.
    Il savait aussi que cette notion de réanimation d’un corps au moyen de l’ esprit provient d’un très lointain passé hébraïque, à
travers la Kabbale et les sectes gnostiques. Contrairement au Christianisme qui,
en l’occurrence, a oublié une partie fondamentale de sa théologie originelle, le
Judaïsme en effet a toujours refusé d’admettre la dualité, voire l’antagonisme
de l’Âme et du Corps. Comme certains philosophes grecs, les sages hébreux
décomposaient l’être vivant en trois éléments : l’Âme, l’Esprit et le
Corps. Cet Abraham ben Simon, le soi-disant auteur du Livre d’Abramelin le Mage , se réfère clairement à
cette vision métaphysique : « Je puis dire en vérité et affirmer que
l’Homme venant à mourir est divisé en trois parties, savoir : corps, âme, esprit.
Le corps va à la terre, l’âme à Dieu ou au Diable, et l’esprit a son temps
déterminé par son Créateur, c’est-à-dire le Sacré Nombre de sept années, pendant
lesquelles il lui est permis d’être errant et d’aller partout. Ensuite, il se
résout, et va derechef au lieu d’où il est sorti. Changer l’état de l’âme est
impossible. Mais la grâce du Seigneur, pour plusieurs causes et raisons qu’il
ne m’est pas permis de manifester, a bien voulu permettre qu’avec l’aide des
Esprits, on puisse faire retourner