L'énigme des vampires
la science et les expériences des anciens et de tous
ceux qui ont étudié les pouvoirs des non-morts. Cet état de non-mort est
étroitement lié à la malédiction d’immortalité. La mort est refusée à ces êtres,
et ils doivent, de siècle en siècle, faire de nouvelles victimes et multiplier
les maux de la terre ; car quiconque meurt ayant été la proie d’un
non-mort, devient à son tour non-mort et, à son tour, fait sa proie de son
prochain. De sorte que le cercle va toujours s’élargissant… Arthur, mon ami, si
vous aviez embrassé Lucy, quelques instants avant sa mort, comme vous en aviez
le désir, ou si l’autre nuit, vous l’aviez prise dans vos bras déjà ouverts
pour la recevoir, vous seriez devenu, à l’heure de votre mort, un nosferatu , comme on dit en Europe occidentale, et
les années passant, vous auriez fait de plus en plus de ces non-morts qui nous
remplissent d’horreur. Comme non-morte, la carrière de cette malheureuse jeune
fille ne fait que commencer. Les enfants dont elle a sucé le sang ne sont pas
encore dans un état désespéré ; mais si, non morte, elle continue à vivre,
ils perdront de plus en plus de sang, puisque obéissant au pouvoir qu’elle
exerce sur eux, ils la rechercheront de plus en plus ; de sa bouche
odieuse, elle tirera jusqu’à leur dernière goutte de sang. Au contraire, si
elle meurt réellement, tout le mal cessera. »
Cette fois, Arthur comprend qu’il ne doit pas se dérober. C’est
lui qui prend le pieu et le marteau. Il place le pieu à l’emplacement du cœur, et,
avec le marteau, il frappe de toutes ses forces. « Le corps, dans le
cercueil, se mit à trembler, à se tordre en d’affreuses contorsions ; un
cri rauque, propre à vous glacer le sang, s’échappa des lèvres rouges ; les
dents pointues s’enfoncèrent dans les lèvres au point de les couper, et elles
se couvrirent d’une écume écarlate… Peu à peu, le corps cessa de trembler, les
contorsions s’espacèrent, mais les dents continuaient à s’enfoncer dans les
lèvres, les traits du visage à frémir. Finalement, ce fut l’immobilité complète.
La terrible tâche était terminée. » Les spectateurs de cette terrible
liturgie reconnaissent alors le visage authentique de la malheureuse Lucy. Arthur
dépose un baiser sur les lèvres de celle qui est maintenant libérée. Van
Helsing coupe la tête et remplit d’ail la bouche de la morte. Et le cercueil
est hermétiquement fermé. Maintenant tout est accompli.
Cette impressionnante histoire, si parlante par elle-même, a
cependant besoin de commentaires. Car elle n’est pas née de l’imagination
exacerbée de Bram Stoker, loin de là. Le romancier ne fait ici que suivre une
tradition bien établie à son époque, et qui, si elle ne remonte peut-être pas
au-delà du XV e siècle, a laissé de
nombreuses traces dans les chroniques. Au XVIII e siècle,
selon le dictionnaire de Fassmer, les vampires sont des « cadavres de
sorciers ou de sorcières maléfiques qui errent la nuit sous forme de loups ou
de hiboux et massacrent les gens et les êtres vivants. Afin de s’en protéger, il
faut leur creuser une tombe et transpercer le cadavre d’un pieu ». Il
semble qu’il y ait là confusion entre vampires et loups-garous. Mais Bram
Stoker lui-même a maintenu l’ambiguïté en faisant de Dracula une sorte de « maître
des loups », probablement capable de se métamorphoser en loup ou en chien.
Quant au hibou, il renvoie à une figure déterminante de la tradition vampirique
la plus archaïque, celle qui s’est cristallisée autour de la fameuse Lilith
hébraïque. L’essentiel est de savoir que pour se protéger de ces êtres
maléfiques, il faut absolument percer le cœur du non-mort. « Près de Gilly
en Belgique, au hameau de Tergnée, sous le chœur d’une chapelle, des fouilles
mirent au jour cinq cercueils en bois percés de part en part d’un gros clou à l’emplacement
de la poitrine. Ils appartenaient à des seigneurs de Faciennes, inhumés au
milieu du XVIII e siècle : le comte
Charles-Joseph de Batthyany, son épouse Anne de Waldstein (fille d’un landgrave
de Bohême) et leurs enfants morts en bas âge… d’un mal de langueur. Ils étaient
originaires de Transylvanie [15] . »
En ce même XVIII e siècle,
Dom Augustin Calmet, qui ne croyait d’ailleurs pas aux vampires, rapporte cette
tradition commune en Hongrie, en Moravie, en Silésie et en Pologne :
« On voit,
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