L'énigme des vampires

de l’humanité, provoquant les
guerres, ayant la haute main sur la finance, la politique et la religion , décidant de la paix, réglementant
les apports de la science, dictant les grandes lignes de l’idéologie choisie
secrètement. S’il fallait en croire Paul Féval – qui ne sera pas le seul à le
prétendre –, nous sommes, sur cette terre, envahis et contrôlés par des
vampires. L’idée n’est pas nouvelle, et si elle a fait son chemin dans la fiction,
ce n’est pas une raison pour ne pas la prendre très au sérieux.
    En tout cas, on s’aperçoit que Paul Féval, avec ses « délires »
vampiriques, a pu largement influencer Bram Stoker. On décèle d’autres traces
de cette influence dans un autre roman de Stoker, le
Joyau des sept Étoiles  : tout le récit s’articule autour de la
momie d’une mystérieuse reine Tera, momie enfouie dans une vallée perdue nommée
« Vallée de la Sorcière ». Un archéologue découvre la momie, mais le
double de la reine Tera est resté lié à la momie, et l’on comprend que ce « double »,
c’est-à-dire le Ka de l’antique religion
égyptienne, s’est nourri de sang durant des siècles. Et, à la fin du roman, le Ka de la reine Tera vampirise complètement le
malheureux archéologue dans une sorte d’éruption de lumière où domine la
couleur verte. Il est évident que Stoker, dans cet autre roman, va bien plus
loin que dans Dracula en cette quête acharnée
de l’inexplicable.
    Il est aussi un autre ouvrage français qui a marqué profondément
Bram Stoker, ouvrage qui, paradoxalement, tente de minimiser le vampirisme en
lui fournissant des explications scientifiques du plus pur rationalisme. Il s’agit
du Château des Carpates de Jules Verne, lui
aussi romancier populaire à succès. Il ne faut cependant pas s’y tromper :
s’il est de bon ton, dans les milieux dits intellectuels, donc sérieux, de
mépriser les romans populaires et de ne les considérer que comme des divertissements
à l’usage d’un public avide de sensations fortes, ce serait une erreur
impardonnable de ne pas les prendre en compte. Le défaut du genre est une
accumulation de détails pittoresques glanés un peu partout et plus ou moins
bien assimilés selon les auteurs. Mais que de sources d’informations ! Les
romanciers dits populaires sont en quelque sorte « la voix du peuple ».
Et la voix du peuple manifeste inévitablement ce que Jung appelle l’Inconscient
collectif, autrement dit une mémoire collective cristallisée autour d’images, parfois
incompréhensibles, mais toujours révélatrices d’une tradition ignorée ou
écartée par les courants officiels de la pensée. D’ailleurs, au début de son Château des Carpates , Jules Verne prend soin de nous
avertir : « Cette histoire n’est pas fantastique, elle n’est que
romanesque. Faut-il en conclure qu’elle ne soit pas vraie, étant donné son
invraisemblance ? Ce serait une erreur. » Il ne faut donc pas prendre
à la lettre tout ce qu’il va raconter au lecteur.
    Il va même plus loin : « Il ne se crée plus de
légendes au déclin de ce pratique et positif XIX e  siècle,
ni en Bretagne, la contrée des farouches korrigans, ni en Écosse, la terre des
brownies et des gnomes, ni en Norvège, la patrie des ases, des elfes, des
sylphes et des valkyries, ni même en Transylvanie, où le cadre des Carpates se
prête si naturellement à toutes les évocations psychagogiques [24] . Cependant il convient de noter que le pays
transylvain est encore attaché aux traditions des premiers âges.  »
L’avertissement est de taille. La référence aux légendes bretonnes, écossaises,
germano-scandinaves et transylvaines est bien précise : et c’est
précisément sur ces aires qu’on découvrira les traces les plus abondantes ou
les plus caractéristiques du vampirisme. Et ce texte a été écrit en 1892.
    Mais Jules Verne n’est pas seulement un « collecteur »
de traditions diverses recueillies au cours de ses lectures autant que de ses
voyages. C’est aussi un fervent d’ésotérisme qui a fréquenté non seulement la
Franc-Maçonnerie, mais également de nombreuses sociétés de type initiatique. Bien
souvent, même sous une forme très édulcorée, et en exagérant systématiquement l’explication
rationnelle des merveilles qu’il décrit, il livre cependant des messages qui ne
sont pas sans intérêt lorsqu’on parvient à les décrypter sous l’accumulation
des