L'énigme des vampires
pénétrer dans l’enceinte
du château. Mais alors qu’il commence son ascension, Patak ne peut plus bouger :
« Ses pieds sont retenus comme s’ils étaient saisis entre les mâchoires d’un
étau… Ils adhèrent par les talons et les semelles de leurs bottes… Le docteur s’est-il
donc laissé prendre aux ressorts d’un piège ? Il est trop affolé pour le
reconnaître… Il semble plutôt qu’il soit retenu par les clous de sa chaussure. »
Le détail a son importance, on le verra plus loin. Mais il n’empêche que « le
pauvre homme est immobilisé à cette place… Il est rivé au sol ». Et
pendant ce temps, Nic Deck a atteint la poterne : « Il venait de
poser sa main sur l’une des ferrures où s’emboîtait l’un des gonds du
pont-levis… Un cri de douleur lui échappa ; puis, se rejetant en arrière
comme s’il eût été frappé d’un coup de foudre, il glissa le long de la chaîne
qu’un dernier instinct lui avait fait ressaisir, et roula jusqu’au fond du
fossé. »
Le forestier est blessé, avec une jambe cassée. Une petite
troupe est venue au secours des deux hommes que l’on ramène au village. Nick
Deck est tendrement soigné par Miriota. Il raconte avec force détails les
événements dont Patak et lui ont été les témoins. « Il suit de là que l’épouvante
fut plus complète que jamais à Werst, même à Vulkan, et aussi dans toute la
vallée… On ne parlait rien moins que d’abandonner le pays ; déjà quelques
familles tsiganes émigraient plutôt que de séjourner au voisinage du burg. À
présent qu’il servait de refuge à des êtres surnaturels et malfaisants, c’était
au-delà de ce que pouvait supporter le tempérament public. »
C’est alors que deux voyageurs étrangers parviennent au village
de Werst et se logent à l’auberge de Jonas : le comte Franz de Telek et
son fidèle serviteur Rotzko. Le comte est bientôt informé de la terreur qui
frappe les habitants du pays. Il obtient des détails supplémentaires de la
bouche du forestier. De toute évidence, il cherche à rassurer cette population
qu’il considère comme superstitieuse. Mais, quand il apprend que le château en
question appartient à la famille de Gortz, son attitude change brusquement, et
il manifeste un violent désir d’aller explorer cet endroit maudit.
Le lecteur apprend bientôt la raison de cet intérêt. Au
cours d’un de ses voyages, le comte de Telek est tombé amoureux d’une jeune et
belle cantatrice du nom de Stilla, dont le succès est tel qu’elle est demandée
par toutes les salles d’opéra de l’Europe. Sa beauté et la pureté de sa voix
font qu’elle ne manque pas d’admirateurs, mais elle accepte d’épouser Franz de
Telek. Or, à chacun de ses déplacements, la Stilla est suivie, comme une ombre,
par un étrange personnage qui ne manque aucune de ses représentations. Ce
personnage n’est autre que le baron de Gortz. Le mariage est annoncé et la
Stilla fait savoir qu’elle abandonnera la scène. Le baron de Gortz en est bouleversé,
et il se laisse aller à une violente colère, comme s’il considérait la Stilla
comme sa propriété personnelle.
Cependant, la soirée d’adieu de la Stilla se déroule à l’opéra
de Naples. La voix de la Stilla est particulièrement émouvante ; mais la
cantatrice, sur la scène, ne peut s’empêcher de regarder la loge du baron de
Gortz : « Toute son âme semblait se distiller à travers ses lèvres… Et,
cependant, on eût dit que cette voix, déchirée par instants, allait se briser, cette
voix qui ne devait plus se faire entendre ! En ce moment, la grille de la
loge du baron de Gortz s’abaissa. Une tête étrange, aux longs cheveux grisonnants,
aux yeux de flamme, se montra, sa figure extatique était effrayante de pâleur… »
Et au moment où elle chante les paroles Immorata, mio
cuore tremante, voglio morire (« Amoureuse, mon cœur tremblant, je
veux mourir »), elle s’effondre, morte. La cantatrice est inhumée dans l’un
des cimetières de Naples, et au soir des funérailles, Franz de Telek reçoit une
lettre signée du baron Rodolphe de Gortz : « C’est vous qui l’avez
tuée !… Malheur à vous, comte de Telek ! » Depuis lors, le baron
de Gortz a disparu en compagnie d’un homme qui ne le quitte jamais, un étrange
personnage borgne aux allures de vieux savant nommé Orfanik. Et Franz de Telek
s’est remis à voyager, ne pouvant oublier la belle Stilla qu’il
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