L'énigme des vampires
des amants de la déesse
Circé et qui pourrait se traduire par la simple formule : « Je t’aime,
donc bois-moi. »
C’est alors qu’intervient le sage abbé Sérapion, qui est une
sorte de prototype d’Abraham van Helsing. Après avoir fait de multiples
reproches à son jeune confrère, mais sans autres résultats qu’un prodigieux
entêtement, il parvient à décider Romuald à l’accompagner jusqu’au cimetière. Là,
au milieu des broussailles et des herbes, il lui fait découvrir une tombe sur
laquelle se trouve l’inscription : « Ici gît Clarimonde, qui fut, de
son vivant, la plus belle du monde. » L’abbé Sérapion soulève la pierre, pioche
la terre et les cailloux, parvient à un cercueil et en arrache le couvercle
devant les yeux effarés de Romuald : « J’aperçus Clarimonde pâle
comme un marbre, les mains jointes ; son blanc suaire ne faisait qu’un
seul pli de sa tête à ses pieds. Une petite goutte brillait comme une rose au
coin de sa bouche décolorée. »
Mais il ne suffit pas à l’abbé Sérapion d’avoir montré à Romuald
quel être il a aimé, il lui faut accomplir le rituel d’exorcisme : « Il
aspergea d’eau bénite le corps et le cercueil sur lequel il traça la forme d’une
croix avec son goupillon. La pauvre Clarimonde n’eut pas été plus tôt touchée
par la sainte rosée que son beau corps tomba en poussière ; ce ne fut plus
qu’un mélange affreusement informe de cendres et d’os à demi calcinés. »
Romuald ne peut plus douter un seul instant d’une réalité aussi terrible. Mais,
le soir suivant, alors qu’il est seul dans son presbytère, Clarimonde, ou
plutôt une forme évanescente de Clarimonde, lui apparaît, disant tristement :
« Malheureux ! qu’as-tu fait ? Pourquoi as-tu écouté ce prêtre
imbécile ? N’étais-tu pas heureux ? Et que t’avais-je fait pour
violer les misères de mon néant ? Toute communication entre nos âmes et
nos corps est rompue désormais. Adieu, tu me regretteras… » Romuald se
sent malgré tout attiré par cette malheureuse apparition, mais à ce moment-là,
« elle se dissipa dans l’air comme une fumée, et je ne la revis plus ».
Tous les ingrédients « romantiques » contenus dans
ce texte auront une longue postérité, qui se perpétue jusqu’à nos jours, aussi
bien dans les romans fantastiques que la Science-Fiction et le cinéma. Étrangement,
cet ouvrage de Théophile Gautier, d’ailleurs très beau sur le plan littéraire, reste
à peu près inconnu des lecteurs français comme des lecteurs anglais. Mais il
est certain que Bram Stoker s’en est inspiré quelque peu. Il devait également
connaître la Vénus d’Ille de Prosper Mérimée, dont
le thème est en fait très proche du vampirisme. Il s’agit ici d’un jeune homme
qui, par dérision ou par défi, met son anneau de fiançailles au doigt d’une superbe
statue de Vénus que vient de se procurer son futur beau-père. Mais il ne peut
récupérer l’anneau que la statue semble vouloir garder. Et, pendant la nuit de
noces, la tragédie éclate : la statue est venue dans le lit nuptial, et
tandis que la jeune épousée, saisie d’horreur, sombre dans l’inconscience, le
nouveau marié subit une étreinte mortelle de la part de cette étrange Vénus. On
retrouve le jeune homme littéralement broyé par la statue. Cette statue a
disparu, mais l’anneau de fiançailles gît sur le sol. Cette histoire fantastique
récupère habilement le thème de la Statue du Commandeur, si cher à Molière et à
Mozart, mais aussi très présent dans la tradition populaire orale : mais c’est
aussi une manifestation de vampirisme, la statue ne pouvant vivre sa non-vie qu’en absorbant toute l’énergie vitale d’un
être humain. On est en pleine magie, laquelle n’est pas très éloignée de celle
décrite dans le Livre d’Abramelin le Mage .
À vrai dire, Bram Stoker ne manquait pas de modèles littéraires.
Il est certain qu’il a puisé certains détails, certaines atmosphères dans deux
romans de Paul Féval, la Ville Vampire , publié
en 1875, et la Vampire , publié en 1891. Mais
Paul Féval n’est pas seulement un romancier populaire à succès : bien au
fait des légendes orales de la Haute Bretagne dont il était originaire, passionné
de sciences occultes, il est beaucoup moins « innocent » qu’on ne le
pense. Voici en particulier ce qu’il écrit dans la Ville
Vampire , à propos de la
Weitere Kostenlose Bücher