L'énigme des vampires
aurait bien des noms à citer
dans l’histoire universelle, y compris celle qui concerne le XX e siècle, alors que la concentration des forces,
les progrès de la science et l’accélération du temps font apparaître certains
phénomènes apparemment incompréhensibles et néanmoins monstrueux dans leur
paroxysme le plus délirant : camps de déportation, chambres à gaz, fours
crématoires, kamikazes, terrorisme aveugle, tortures savantes, armes nucléaires,
chimiques ou bactériologiques, puissance économique en situation de monopole, impérialisme
culturel ou soi-disant tel, renouveau des intégrismes religieux sous leurs
formes les plus virulentes, accompagnés de fanatisme sanguinaire, tout y est. Le
règne de Dracula est là, devant nous, en nous, pour être plus juste. Le « pal »
a peut-être disparu en tant qu’instrument de supplice, mais on l’a remplacé par
quantité de trouvailles tout aussi merveilleuses, dérivées de la science la
plus sophistiquée. De toute façon, symboliquement ,
le comte Dracula boit imperturbablement et sournoisement le sang des veines de
ses victimes. Or, celles-ci, la plupart du temps, sont consentantes, ce qui
ajoute au tragique de cette situation dont on se refuse à admettre l’existence
rationnelle. Et, plus grave encore, comme le dit Stoker dans son roman ô
combien prophétique, c’est que Dracula « est bien résolu à réussir, et un
homme qui a des siècles devant lui peut se permettre d’attendre et d’avancer
lentement ».
Vlad IV Tepes, l’Empaleur, voevod de Valachie, est
peut-être mort physiquement en 1477, quelque part autour de Bucarest. Mais son
ombre continue de rôder autour du Château des Carpates ,
ce nid d’aigle autour duquel les loups mènent une sarabande effrénée, et
au-dessus duquel les chauves-souris sillonnent les nuages qui masquent la lune.
Et surtout, fait encore plus important et aussi plus dangereux ,
le « dragon » Dracula, en tant que vampire, en tant que corps doué d’esprit
mais privé d’âme, continue lentement mais sûrement, dans la nuit des fantasmes,
c’est-à-dire dans l’inconscient collectif de l’humanité, à saigner ses proies
qui ne savent même plus pourquoi leurs forces les abandonnent alors que le
soleil brille et que l’univers tourne inlassablement autour d’un centre qui est
partout et nulle part…
IV - LA COMTESSE SANGLANTE
Il est impossible de s’intéresser au phénomène, réel ou imaginaire,
du vampirisme sans se référer un personnage qui défraya la chronique au XVII e siècle en Hongrie et Transylvanie, et qui a
provoqué, dans la mémoire des peuples, l’apparition d’une image surprenante, ambiguë,
terrifiante, qui est loin de laisser indifférent : la comtesse Erzébeth
Bathory est en effet une des incarnations les plus caractéristiques de ce que l’on
a coutume de classer dans la catégorie des vampires humains, malgré les
interférences inévitables qui se sont produites entre ce que l’on sait de sa
vie et des zones d’ombre que l’on n’a pas osé dévoiler en plein jour. Ce fut
une criminelle, assurément. Mais ce fut aussi une femme mystérieuse qui a
emporté dans la tombe de lourds secrets qu’il est bien difficile de cerner en
toute objectivité.
Erzébeth Bathory est née en 1560, d’une famille de sang
royal, comptant dans ses proches parents le prince de Transylvanie, Sigismond
Bathory, un oncle qui devint roi de Pologne, des gouverneurs de province, de
hauts magistrats, des évêques et un cardinal. Cette famille remontait très loin
dans le temps et comptait un certain nombre d’aventuriers hongrois descendant
probablement des Huns et qui s’étaient imposés par le sang et la violence, comme
il était de règle à ces époques troublées où la Hongrie allait passer d’un
paganisme pur et dur à un catholicisme très inféodé à Rome. Du temps d’Erzébeth,
rien n’était d’ailleurs vraiment net dans cette région bouleversée par l’apparition
des Réformateurs luthériens et calvinistes et où le catholicisme romain se
heurtait au Christianisme orthodoxe et aux innombrables communautés musulmanes
disséminées par les Turcs. Sans parler des vestiges virulents d’un paganisme hérité
du fonds asiatique : « L’ancienne terre des Daces était païenne
encore, et sa civilisation avait deux siècles de retard [44] sur celle de l’Europe occidentale. Là, régnaient, gouvernées par une mystérieuse
déesse Mielliki, les
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