L'ennemi de Dieu
l’orage moribond eut éteint les braises, il
ne restait plus aucun Trésor à Ynys Wydryn. Il n’y avait aucun Chaudron dans
les cendres, juste un grand vide au cœur flétri de la Dumnonie.
Apparemment, les
nouveaux dieux contre-attaquaient. Ou les jumeaux siluriens avaient opéré un
puissant charme sur la tresse de barbe de Merlin, car le Chaudron s’était
envolé. Tous les Trésors s’étaient évanouis.
Et je partis
dans le nord retrouver Ceinwyn.
TROISIÈME PARTIE CAMELOT
« Tous
les trésors avaient brûlé ? me demanda Igraine.
— Tous
disparus.
— Pauvre
Merlin ! » Igraine avait pris sa place habituelle sur le rebord de ma
fenêtre, emmitouflée dans son épais manteau de castor. Et elle en a bien besoin
parce qu’il fait un froid de canard aujourd’hui. Il y a eu des rafales de neige
ce matin et, à l’ouest, le ciel est chargé de nuages plombés. « Je ne puis
m’attarder, avait-elle annoncé dès son arrivée avant de parcourir les
parchemins terminés. S’il venait à neiger.
— Il
neigera. Les haies sont couvertes de baies, ce qui est toujours annonciateur d’un
hiver rude.
— Avec
les vieux, c’est chaque année la même rengaine, observa Igraine d’un ton
revêche.
— Quand
vous serez vieille, tous les hivers seront rudes.
— Quel
âge avait Merlin ?
— À l’époque
où il a perdu le Chaudron ? Pas loin de quatre-vingts ans. Mais il a
encore vécu longtemps.
— Et il n’a
jamais reconstruit la tour des rêves ?
— Non. »
Elle soupira
et resserra son manteau blanc : « J’aimerais beaucoup avoir une tour
des rêves. J’aimerais tant.
— Alors,
faites-en construire une. Vous êtes reine. Donnez des ordres. Faites des
histoires. C’est tout simple : rien qu’une tour à quatre côtés et sans
toit, avec une plate-forme à mi-hauteur. Une fois bâtie, personne d’autre que
vous ne peut y entrer. Le truc est de dormir sur la plate-forme et d’attendre
que les Dieux vous envoient des messages. Merlin a toujours dit que c’était un
lieu affreusement froid en hiver.
— Et le
Chaudron, devina Igraine, était caché sur la plate-forme ?
— Oui.
— Mais il
n’a pas brûlé, n’est-ce pas, Frère Derfel ?
— L’histoire
du Chaudron continue, admis-je, mais je ne la raconterai pas maintenant. »
Elle me tira
la langue. Elle est d’une beauté éblouissante aujourd’hui. Peut-être est-ce le
froid qui a coloré ses joues et l’éclat de ses yeux noirs, ou peut-être est-ce
la peau de castor qui lui sied. Mais je soupçonne qu’elle est enceinte. J’ai
toujours su au premier coup d’œil quand Ceinwyn l’était, et Igraine laisse paraître
la même effervescence. Mais Igraine n’a rien dit et je me garderai bien de lui
poser la question. Dieu sait qu’elle n’a pas compté ses prières pour avoir un
enfant, et peut-être notre Dieu chrétien écoute-t-il les prières. Nous n’avons
rien d’autre à offrir que l’espoir, car nos dieux sont morts ou ont fui. Ou se
désintéressent de nous.
« Les
bardes, reprit Igraine – et au son de sa voix je sus qu’elle allait
mettre le doigt sur une autre de mes lacunes –, disent que la bataille
des environs de Londres a été terrible. Ils disent qu’Arthur a combattu toute
la journée.
— Dix
minutes, dis-je distraitement.
— Et ils
prétendent tous que c’est Lancelot qui l’a sauvé en arrivant in extremis avec une centaine de lanciers.
— Ils
répètent tous la même rengaine, parce que ce sont les poètes de Lancelot qui
ont écrit les chansons. »
Elle secoua la
tête d’un air triste et donna une grande claque sur la sacoche de cuir dans
laquelle elle rapporte les parchemins à Caer : « Si c’est la seule
chose à mettre à l’actif de Lancelot, Derfel, que vont penser les gens ?
Que les poètes mentent ?
— Qu’importe
ce que pensent les gens ? fis-je avec humeur. Et les poètes sont des
menteurs invétérés. C’est pour cela qu’on les paie. Mais vous m’avez demandé la
vérité. Et quand je vous la dis, vous vous plaignez !
— Les
guerriers de Lancelot, commença-t-elle à réciter, ses lanciers si
hardis, Faiseurs de veuves et généreux de leur or. Massacreurs des Saxons,
redoutés des Sais...
— Arrêtez,
je vous prie ! J’ai entendu la chanson une semaine après qu’elle a été
écrite !
— Mais si
les chansons mentaient, plaida-t-elle, pourquoi Arthur
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