L'ennemi de Dieu
Dinas. »
Et Merlin n’en
veut pas, ajouta-t-il avec mépris.
— En ce
cas, c’est nous qui devrons le prendre », déclara Lavaine.
L’interprète
de Cerdic avait fait de son mieux pour traduire cet échange à l’intention du
roi, mais ce triste amas de bois brisé et pourri ne lui faisait visiblement pas
grande impression. Il n’en ordonna pas moins à ses lanciers de ramasser les fragments
et de les disposer dans un manteau que Lavaine ramassa. Nimue leur jeta une
malédiction, et Lavaine se contenta de se moquer d’elle. « Vous voulez
nous disputer le chariot par les armes ? demanda-t-il en faisant un geste
en direction des lanciers de Cerdic.
— Vous ne
pourrez pas toujours vous mettre à l’abri derrière les Saxons, dis-je, et le
jour viendra où vous devrez vous battre. »
Dinas cracha
dans la fosse vide. « Nous sommes des druides, Derfel, tu ne peux nous
ôter la vie sans vouer ton âme et l’âme de ceux que tu aimes à une horreur
éternelle.
— Moi, je
peux vous tuer », cracha Nimue.
Dinas la fixa
des yeux puis lui tendit le poing. Nimue lui cracha dessus pour conjurer le
mal, mais Dinas se contenta de le retourner et d’ouvrir la paume pour faire
apparaître un œuf de grive qu’il lui lança. « Pour ton orbite, femme »,
fit-il avec mépris avant de sortir du temple à la suite de Cerdic et de son
frère.
« Je suis
navré. Seigneur, dis-je à Merlin lorsque nous fûmes seuls.
— De quoi
donc, Derfel ? Tu crois que tu aurais pu battre vingt lanciers ? »
Il soupira et frotta sa barbe outragée. « Tu vois un peu comment les
forces des nouveaux dieux ripostent ? Mais tant que nous posséderons le
Chaudron, nous serons les plus puissants. Viens. » Il tendit le bras vers
Nimue non pas pour chercher du réconfort mais pour s’appuyer sur elle. Il eut
soudain l’air vieux et abattu en quittant la nef d’un pas lent.
« Que
faisons-nous, Seigneur ? me demanda l’un de mes lanciers.
— Préparez-vous
au départ. » Je regardais le dos voûté de Merlin. Sa barbe taillée,
pensais-je, était une plus grande tragédie qu’il ne voulait bien l’admettre,
mais je me consolais à l’idée qu’il possédait encore le Chaudron de Clyddno
Eiddyn. Son pouvoir restait grand, mais il y avait quelque chose dans ce dos
voûté et son pas traînant qui était infiniment triste. « Préparons-nous à
partir », repris-je.
Nous partîmes
le lendemain. Nous étions encore affamés, mais nous rentrions au pays. Et d’une
certaine façon, nous avions la paix.
*
Au nord de la
ville de Calleva en ruines, sur une terre qui avait appartenu à Aelle et qui
était maintenant à nous, le tribut nous attendait. Aelle avait tenu parole.
Il n’y avait
aucun garde dans les parages, juste de gros tas d’or qui nous attendaient sur
la route. Il y avait des coupes, des croix, des lingots, des broches et des
torques. Nous n’avions aucun moyen de peser l’or, et Arthur et Cuneglas
soupçonnaient tous les deux que ce n’était pas tout le tribut convenu, mais
cela suffisait. C’était un beau magot.
On enveloppa l’or
dans nos manteaux, puis on accrocha les gros balluchons sur le dos des chevaux
de guerre avant de reprendre la route. Arthur marchait avec nous, son humeur se
faisant de moins en moins sombre à mesure que nous approchions du pays, même s’il
avait encore quelques regrets. « Tu te souviens du serment que j’ai fait
pas loin d’ici ? me demanda-t-il peu après que nous eûmes ramassé l’or d’Aelle.
— Je m’en
souviens, Seigneur. »
C’était l’année
précédente, la nuit après qu’il eut livré ce même or à Aelle. Avec cet or, nous
lui avions graissé la patte pour l’éloigner de notre frontière et le diriger
vers Ratae, la forteresse du Powys, et cette nuit-là Arthur avait juré de tuer
Aelle. » Pour l’instant, je le protège, observa-t-il d’une voix lugubre.
— Cuneglas
a récupéré Ratae, observai-je.
— Mais je
n’ai pas honoré mon serment, Derfel. Tant de serments brisés. »
Il avait les
yeux braqués sur un épervier qui filait devant un grand amoncellement de nuages
blancs.
« J’ai
suggéré à Cuneglas et à Meurig de se partager la Silurie, et Cuneglas a suggéré
que tu sois le roi de sa portion. Y consentirais-tu ? »
J’étais
tellement stupéfait que je ne sus guère répondre. « Si vous le désirez,
Seigneur, dis-je enfin.
— Eh bien
non. Je te veux pour tuteur de
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