L'ennemi de Dieu
conception. Tous les villages avaient leur sage-femme qui savait
quelles herbes rempliraient cet office, de même qu’elles savaient celles qui
provoqueraient un avortement ou soigneraient une maladie. Arthur, j’en étais
convaincu, aurait aimé d’autres enfants, car il les adorait, et il n’était jamais
plus heureux que lorsqu’il venait avec Gwydre dans notre palais. Arthur et son
fils se plaisaient au milieu de la ribambelle d’enfants qui se promenaient,
insouciants, à Lindinis, mais prenaient grand soin d’éviter la présence
songeuse et maussade de Mordred. Gwydre jouait avec nos trois fillettes et avec
les trois de Ralla, et avec les deux douzaines d’enfants d’esclaves ou de
servantes qui formaient de petites armées pour des parodies de combat ou qui
suspendaient des manteaux de guerre aux branches d’un poirier pour en faire un
semblant de maison où ils imitaient les passions et les procédures du palais.
Mordred avait ses compagnons à lui : tous des garçons et tous des
esclaves. Étant plus âgés, ils vadrouillaient à leur guise et nous avions
ensuite des échos de leurs virées : faucille volée dans une cabane, toit
de chaume ou meule de foin incendiés, tamis éventré, haie saccagée et, plus
tard, agression d’une petite bergère ou de la fille d’un fermier. Arthur
écoutait, frissonnait puis allait parler au roi, mais rien n’y faisait.
Guenièvre
venait rarement à Lindinis. En revanche, mes obligations, qui m’amenaient à
sillonner la Dumnonie au service d’Arthur, me conduisaient assez souvent au
Palais d’hiver de Durnovarie. Et c’est là, le plus souvent, que je rencontrais Guenièvre.
Elle était courtoise avec moi, mais il vrai que nous étions tous courtois en ce
temps-là car Arthur avait inauguré sa grande bande de guerriers. Il m’avait
fait part de son idée à Cwm Isaf, mais c’est dans les années de paix qui
suivirent la bataille de Londres qu’il fit de sa confrérie de lanciers une
réalité.
Aujourd’hui
encore, si vous parlez de la Table Ronde, certains vieillards se souviendront
en gloussant de cette vieille tentative pour dompter la rivalité, l’hostilité
et l’ambition. La Table Ronde, bien sûr, n’a jamais été son vrai nom. Ce n’était
qu’un sobriquet. Arthur lui-même avait décidé de l’appeler la Confrérie de
Bretagne, ce qui était beaucoup plus impressionnant, mais personne ne devait
jamais l’appeler ainsi. Tous s’en souvenaient, quand ils s’en souvenaient,
comme du serment de la Table Ronde, et probablement avaient-ils oublié qu’elle
était censée nous apporter la paix. Pauvre Arthur. Il y croyait vraiment, à sa
Confrérie, et si les baisers pouvaient apporter la paix un millier de morts
seraient encore parmi nous aujourd’hui. Arthur avait essayé de changer le monde
par l’amour.
*
La Confrérie
de Bretagne devait être inaugurée au Palais d’hiver de Durnovarie, en été,
après qu’une épidémie eut emporté Leodegan, le père de Guenièvre et le roi en
exil de Henis Wyren. Mais en juillet, alors que nous étions censés nous retrouver
là-bas, la peste s’était abattue sur Durnovarie et, au tout dernier moment,
Arthur avait décidé que la grande assemblée aurait lieu au Palais marin
désormais resplendissant au sommet de la colline. Lindinis eût été un meilleur
endroit pour les cérémonies inaugurales, car le palais était beaucoup plus
grand, mais probablement Guenièvre avait-elle souhaité faire admirer sa
nouvelle demeure. Sans doute lui était-il agréable de voir tous les rudes
guerriers barbus et chevelus de la Bretagne se promener à travers ses salles
civilisées et ses arcades ombragées. C’est cette beauté, semblait-elle nous
dire, que vous devez protéger de votre vie, même si elle prit grand soin que
nous soyons peu nombreux à dormir dans la villa agrandie. Nous installâmes
notre campement à l’extérieur et, en vérité, nous en étions ravis.
Ceinwyn vint
avec moi. Elle n’allait pas très bien car les cérémonies se déroulèrent peu de
temps après la naissance de son troisième enfant, un garçon. L’accouchement
difficile s’était soldé par une Ceinwyn très affaiblie. L’enfant n’avait pas
survécu. Mais Arthur la supplia de venir. Il voulait que tous les seigneurs de
Bretagne fussent réunis, et bien que personne ne vînt du Gwynedd, d’Elmet ou
des autres royaumes du nord, beaucoup consentirent à un long voyage. Et presque
tous les
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