L'ennemi de Dieu
mènent au roi, Derfel, notre devoir s’arrête avec le roi, et
toutes nos lois sont sous la garde du roi. Si nous défions notre roi, c’est l’ordre
que nous défions. Nous pouvons combattre d’autres rois, nous pouvons même les
tuer, mais uniquement parce qu’ils menacent notre roi et son bon ordre. Le roi,
Derfel, c’est la nation, et nous appartenons au roi. Quoi que nous fassions,
toi et moi, nous devons soutenir le roi. »
Je savais qu’il
ne parlait pas de Tristan et de Marc. Il pensait à Mordred et je m’enhardis
donc à dire tout haut ce que l’on chuchotait tout bas depuis de longues années
en Dumnonie : « Il en est qui disent, Seigneur, que c’est vous qui
devriez être roi.
— Non !
s’écria-t-il. Non ! répéta-t-il d’une voix plus calme en se tournant vers
moi.
— Et
pourquoi pas ? demandai-je, les yeux posés sur son épée.
— Parce
que j’ai prêté serment à Uther.
— Mordred
n’est pas digne d’être roi. Et vous le savez, Seigneur. »
Il se tourna à
nouveau vers la mer.
« Mordred
est notre roi, Derfel, et cela doit nous suffire, à toi comme à moi. Il a nos
serments. Nous ne saurions le juger. C’est lui qui nous jugera. Et si toi et
moi décidons qu’un autre devrait être roi, que devient l’ordre ? Si un
homme s’empare injustement du trône, n’importe quel homme peut le faire. Si je
m’en empare, pourquoi un autre ne me le prendrait-il pas ? C’en serait
fini de l’ordre. Le chaos régnerait.
— Parce
que vous croyez que Mordred se soucie de l’ordre ? demandai-je avec
aigreur.
— Je
pense que Mordred n’a pas encore été convenablement acclamé, répondit Arthur.
Je crois qu’il peut changer le jour où de hautes responsabilités pèseront sur
ses épaules. Je crois plus probable qu’il ne change pas, mais par-dessus tout,
Derfel, je crois qu’il est notre roi. Et que nous devons le supporter, parce
que tel est notre devoir, que cela nous plaise ou non. Dans tout ce monde,
Derfel, reprit-il en s’emparant d’Excalibur pour balayer l’horizon, dans tout
ce monde, il n’est qu’un ordre sûr, et c’est l’ordre du roi. Non pas celui des
Dieux. Ils ont quitté la Bretagne. Merlin a cru pouvoir les y ramener, mais
regarde Merlin aujourd’hui. Sansum nous dit que son Dieu est puissant et qu’il
pourrait imposer son ordre. Mais je ne suis pas de cet avis. Je ne vois que des
rois et c’est dans la personne des rois que sont concentrés nos serments et nos
devoirs. Sans eux, ce serait la foire d’empoigne. » Il remit Excalibur au
fourreau. « Je dois soutenir les rois, car sans eux le chaos triompherait.
J’ai donc dit à Tristan et Iseult qu’ils devaient passer en jugement.
— En
jugement ! m’exclamai-je en crachant sur le sol.
— Ils
sont accusés de vol, répondit Arthur en me considérant d’un air fâché. Ils sont
accusés d’avoir enfreint leurs serments. Ils sont accusés de fornication. »
Il prononça ce
dernier mot avec un rictus et se détourna de moi pour cracher en direction de
la mer.
« Ils
sont amoureux ! » protestai-je. Et comme il ne disait rien, je
décidai de l’attaquer de front : « Et vous, Arthur ap Uther,
êtes-vous passé en jugement lorsque vous avez manqué à un serment ? Non
pas le serment qui vous liait à Ban, mais celui que vous aviez fait à Ceinwyn,
votre fiancée. Vous avez manqué à votre parole, et personne ne vous a fait
comparaître devant des magistrats ! »
Il se tourna
vers moi, fou de rage. L’espace de quelques instants, je crus qu’il allait de
nouveau libérer Excalibur pour m’attaquer à l’épée. Mais il se contenta d’un
haussement d’épaules et se tut. Ses yeux brillaient à nouveau de larmes. Il
garda le silence un bon moment, puis hocha la tête. « J’ai enfreint mon
serment, c’est vrai. Tu crois que je ne l’ai pas regretté ?
— Et vous
ne souffrirez pas que Tristan ait manqué au sien ?
— C’est
un voleur ! aboya Arthur furieux. Tu crois que nous devrions risquer des
années d’incursions à nos frontières pour un voleur qui fornique avec sa
belle-mère ? Tu pourrais parler aux familles des paysans et justifier leur
mort au nom de l’amour de Tristan ? Tu crois que les amours d’un prince
justifient que femmes et enfants soient passés par l’épée ? C’est cela ta
justice ?
— J’estime
que Tristan est notre ami, fis-je, et comme il ne répondait pas je crachai à
ses pieds. C’est vous
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